Si la Catalogne proclame son indépendance,
pourra-t-elle rester dans l’Union et dans l’euro comme le gouvernement de la
Généralité continue à l’affirmer crânement ? Pour les partenaires
européens de Madrid et les institutions communautaires, la réponse est clairement
négative, même si les traités européens sont silencieux sur cette question et
qu’il n’existe aucun précédent. De fait, jusqu’ici, les États du vieux continent
qui se sont scindés (essentiellement à la suite de la chute du communisme) ont
eu le bon goût de le faire avant d’adhérer à l’Union… Lors du sommet européen de la semaine
dernière, les 27, en soutenant sans ambiguïté Madrid, ont envoyé un message clair
à Barcelone : toute sécession de l’Espagne sera considéré comme une
sécession de l’Union.
« La clef n’est pas dans le droit européen,
mais dans le droit international »,
reconnait-on à la Commission. Même si ce droit n’est pas contraignant, il est
carré : si une région proclame son indépendance, avec ou sans accord de l’État
central, elle sort automatiquement de tous les traités signés par le pays
auquel elle appartenait. Les institutions communautaires et les capitales
européennes ont d’ailleurs déjà fait savoir qu’il appliquerait cette règle et
que la Catalogne sortirait de l’Union et de l’euro si elle devenait
indépendante…
Madrid refuse de reconnaitre l’indépendance
En réalité, il y a deux cas de figure distincts.
Si Madrid refuse de reconnaitre l'indépendance de la Catalogne, elle restera de
facto dans l'Union puisqu'elle ne sera pas un État indépendant reconnu comme
tel par l'État central et la communauté internationale. Elle pourra certes
s'organiser en Etat de fait, en imaginant que Madrid la laisse faire, mais elle
n'aura aucune voix dans l'Union ou dans le monde : c'est l'Espagne
éternelle qui continuera à représenter les intérêts de toute l'Espagne à
Bruxelles et la Catalogne devra appliquer les décisions qui seront prises par
les Vingt-huit sans qu'elle ait son mot à dire. Elle se retrouvera dans une
situation à la norvégienne si l'on veut : membre de l'Espace économique
européen, comme l'Islande et le Liechtenstein, Oslo doit appliquer l'ensemble
du droit européen sans avoir voix au chapitre pour prix de son accès au marché
unique. « Ce sera un État fantoche », résume crument Claude Blumann,
professeur émérite à l'Université de Paris II. Une situation qui n'est
forcément pour déplaire à Barcelone : «
si Madrid estime qu'une Catalogne indépendante doit sortir de l'Union et renégocier
une adhésion à laquelle elle pourrait poser son véto, il faudrait d'abord
qu'elle nous reconnaisse! », s'amusait en septembre 2016 devant quelques
journalistes français Carles Puigdemont, le président de la Généralité
de Catalogne… En clair l'indépendance, mais sans ses inconvénients.
Mais une autre hypothèse est plausible : un
blocus terrestre et maritime de la Catalogne organisé par Madrid. Frédéric
Mérand, professeur de sciences politiques à l'Université de Montréal, ne
l'exclut pas et voit « mal les Etats européens s'y opposer. Si la France maintient
sa frontière ouverte, Madrid pourra
estimer qu'il s'agit d'une attitude hostile à son égard avec ce que cela
implique… ». Autrement dit, même non reconnu, la Catalogne pourrait se
retrouver couper de l'Union européenne, avec son approbation tacite, jusqu'à ce
qu'elle demande grâce.
Un tel pouvoir reconnu à l’État central
n’est-il pas en contradiction avec le principe du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes proclamé par la Charte des Nations Unies ? Car s’il n’est pas supérieur
à l’ordre juridique interne, autant le passer par pertes et profits… « Il est exact que la Constitution
espagnole ne peut pas être le seul référent dans cette affaire »,
reconnaît Claude Blumann. Le problème est que ce principe a été interprété très
largement après la Seconde Guerre mondiale et lors de la décolonisation, ce qui
n’est plus le cas aujourd’hui. Surtout, il implique de savoir s’il y a un
« peuple catalan » et s’il peut revendiquer son indépendance. Enfin,
il n’existe aucune instance internationale compétente pour en juger. Il
appartient à chaque État d’en décider en reconnaissant ou non le nouveau pays
et cette déclaration n’engage que lui… Autrement dit, une Catalogne
« indépendante » devra compter sur la bonne volonté des États. Or, dans
l’Union, elle n’a aucun allié…
Si Madrid reconnait l’indépendance de la Catalogne
Cependant Madrid peut choisir de reconnaitre le
droit à l’indépendance de la Catalogne. Dans ce cas, elle notifiera sa décision
à Bruxelles, « comme la France l’a fait avec le département d’Algérie en
1962 qui a immédiatement cessé d’appartenir à la CEE de l’époque »,
rappelle Jean-Luc Sauron, conseiller d’État et spécialiste des affaires
européennes. Et les partenaires de Madrid devraient suivre sans difficulté. La
Catalogne sera alors un nouvel État européen en bonne et due forme. Mais comme
l’État successeur de l’Espagne unie sera l’Espagne réduite aux acquêts, en
bonne logique la Catalogne se retrouvera en dehors de l’Union et de l’euro
puisque ce n’est pas elle qui a signé le traité d’adhésion en 1985. Ce qui est
vrai de l’Union l’est tout autant de l’ensemble des traités auxquels l’Espagne
est partie : ONU, OMC, OCDE, OTAN, etc. Il faudra donc que la Catalogne
négocie ensuite son adhésion à l’ensemble des organisations internationales…
Mais ce départ ne se fera pas du jour au
lendemain : « il faudra d’abord que l’Espagne modifie sa Constitution pour
autoriser un nouveau référendum d’autodétermination, légal celui-là, puis que
la Catalogne et l’Espagne négocient un traité de séparation, ce qui s’annonce
ardu, puis qu’enfin les liens avec l’Union soient rompus », liste
Jean-Claude Piris, ancien Jurisconsulte du Conseil des ministres de l’Union. Et
là, on ne sait pas trop comment on fera puisque le cas ne s’est jamais
présenté, surtout pour un territoire qui a appartenu à la zone euro. « On
n’est pas dans le cas du Brexit où c’est un État membre qui décide de partir. L’article
50 ne s’applique pas. Là c’est une région qui quitte un État membre et ça on ne
sait pas faire », souligne Jean-Luc Sauron.
Realpolitik?
Bien sûr, il est possible qu'un accord
politique soit trouvé pour garder la Catalogne dans l'Union sans en passer par
une nouvelle demande d'adhésion : après tout, il y a un gros risque de tempête
financière si la zone euro perd ainsi un bout de son territoire qui pèse plus
que la Grèce… « Personne au sein de
l'Union ne voudra se priver de l'économie catalane qui pèse 2 % de son PIB. Je
suis persuadé que la realpolitik finira pas l'emporter et que nous resterons
membre de l'Union », estimait ainsi Carles Puigdemont.
Une hypothèse que n'écarte pas Jean-Luc Sauron . Ce n'est pas l'avis de
Jean-Claude Piris : « on a l'obligation de vérifier que le nouvel
Etat remplit bien tous les critères politiques (État de droit, protection des
minorités, etc.) et économiques pour adhérer à l'Union. On ne peut pas se
contenter de lui faire confiance ». Et Madrid n'a pas emprunté la voie du
dialogue et de la conciliation, préalable à tout accord politique de cette
nature.
Bref, les indépendantistes catalans n’ont
manifestement pas mesuré la complexité de la tâche qui les attend et les
risques politiques et économiques qu’ils prennent et font prendre à l’Union.
N.B.: article paru dans Libération du 25 octobre