Menu
Libération
Chronique «Ecritures»

Journée internationale de l’imposture

publié le 24 novembre 2017 à 19h06

Aujourd'hui 25 novembre, c'est la «Journée internationale pour l'élimination de la violence contre les femmes». Concrètement, cela va se traduire par des actions de sensibilisation un peu partout dans le monde, des articles de presse, débats et conférences. Comme cette date est aussi la Journée mondiale anti-foie gras, et même si nous savons bien qu'il ne faut pas dissocier le sort des canard.e.s de celui des humain.e.s, le message est légèrement brouillé, d'autant qu'on annonce aussi la Journée mondiale du pop-corn, du hamburger, des câlins, du sourire, de la barbe, de la frite belge, du coloriage, j'en passe, et plus de 365 par an. Le 25 novembre est en outre le jour de la Sainte-Catherine, patronne des couturières et des femmes célibataires pas fières de l'être. Cette fête a beau n'être plus guère célébrée que dans les maisons de couture et les écoles de mode, où l'on «coiffe sainte Catherine» à l'aide d'un chapeau jaune et vert lorsqu'on n'est pas encore mariée passé 25 ans, elle pérennise la croyance archaïque selon laquelle une femme n'accomplit son destin que dans le couple. Le 25 novembre, la «vieille fille», la «catherinette» se fait donc du souci et prie : «Sainte Catherine, soyez bonne / Nous n'avons plus d'espoir qu'en vous / Vous êtes notre patronne / Ayez pitié de nous / Donnez-nous un époux.» Aux alentours du IVe siècle, Catherine d'Alexandrie fut condamnée au supplice de la roue et décapitée pour avoir refusé d'épouser l'empereur Maxence. L'idée prévaut depuis, d'Alexandrie à Sarcelles, qu'il vaut mieux ne pas contrarier l'homme qui nous veut, surtout s'il a du pouvoir ou une arme de service.

Remarquons par ailleurs que la Journée contre les violences faites aux femmes est incluse dans un module temporel plus vaste : le Mois sans tabac qui, lui, a commencé le 1er novembre. «Pourquoi un mois ?» demande l'accroche publicitaire. Parce qu'«au-delà d'un mois, les chances d'arrêter définitivement sont multipliées par 5». Apparemment, il n'y a pas eu d'étude statistique de même ampleur sur les violences faites aux femmes, pour lesquelles une journée a été jugée suffisante. Arrêter de fumer ou arrêter de se faire fumer, l'enjeu n'est de toute évidence pas le même : un mois sans tabassage, ça ferait beaucoup, non, et avec quel taux de chances de survie ? Pour en revenir aux dangers de la cigarette et au «défi collectif» posé par le tabac, le ministère de la Santé a eu une idée de génie : afin de parer à toute influence néfaste sur le public - on connaît le pouvoir de l'image -, il n'y a qu'à interdire de représenter des gens qui fument dans les films. On avait déjà tenté de gommer la cigarette d'Albert Camus sur une affiche, dessaisi Serge Gainsbourg et Lucky Luke de leur clope, maintenant agissons sur le futur, quitte à obliger les artistes à modifier leur vision du monde. On a eu le slogan : «le tabac t'abat», bientôt ce sera «l'art m'a tuer». Au passage, Egon Schiele est aussi prié d'aller se rhabiller, cachez ce sexe que je ne saurais voir. Avec les faux-culs du ministère d'Agnès Buzyn, voilà que s'annoncent les fake films, les photos-fakes, l'œuvre bidon. A ce jour, nous n'avons pas entendu la réaction de Françoise Nyssen. Sans doute notre ministre de la Culture attend-elle que sa collègue peaufine son projet cinématographique : interdiction de se servir un whisky, avec rénovation des bons vieux dialogues («Un dernier verre ? - Pourquoi pas, t'as de la Badoit ?), interdiction de dépasser les 50 km/h en ville, de sniffer de la coke, d'utiliser une arme - plus de polars, plus de courses-poursuites, plus de westerns, plus de James Bond. Et surtout, nous attendons les propositions de Marlène Schiappa. Pour protéger les femmes de la violence, envisage-t-elle d'interdire toute scène où un homme gifle une femme, la siffle, la suit dans la rue, la viole, la tue ? Mieux : les scènes d'amour devront-elles être re(bien)pensées ? Avis aux scénaristes : désormais, toute relation physique devra être précédée de la signature d'un contrat amiable visible à l'écran. «T'as de beaux yeux, tu sais… - Embrassez-moi. - OK. Signe là.» Finies les filles faciles : il n'y aura plus que des Marie coche-toi là. Ça va doubler le temps de tournage, mais ce sera pour la bonne cause.

La misogynie nuit gravement à votre entourage. Le machisme tue. Mais la tartufferie et la bêtise aussi. Ça m’énerve tellement que j’ai envie de me remettre à fumer. Sainte Catherine, t’aurais pas une clope ?

Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Sylvain Prudhomme et Tania de Montaigne.