Zarca a «fisté la litterature» comme il dit en remportant le prix de Flore a 33 ans et avec une maison d’édition qu’il a lui même créée il y a moins d’un an avec les journalistes Clara Tellier Savary et Geoffrey Le Guilcher. – Prix de Flore décerné ex aequo à Pierre Ducrozet pour L’Invention des corps – Zarca et moi écrivons actuellement un roman d’immersion gonzo : «ChemSex», autofiction bipaire et toxique : deux auteurs, un hétéro de 33 ans et un pédé de 53 ans, dans l’idée délirante d’écrire la bible contemporaine des drogues et du sexe.
Extrait : Le harem de Porte Dorée
La porte Dorée, à Paris, ne paye pas de mine mais elle cache bien son jeu : violentes rixes et fouteurs de merde à la Foire du Trône, exhibos dans cette partie ouest du bois de Vincennes – quand j’étais gamin, un perv’ m’a d’ailleurs montré son dard sur la pelouse de Reuilly –, BMC (Camionnette utilisée par les prostituées), tapins fanés et schlagues en phase terminale autour du stade Paul-Valéry et du boulevard Soult. Et puis en matière d’Underground, il y a aussi l’appart d’Erik, l’écrivain du fist et du barebacking. Je m’engouffre chez le pote, une agréable odeur d’eucalyptus embaume le baisodrome. Un nouveau piercing au zen et des gros cernes tirés sous les yeux, le soce m’adresse son sourire de mec vidangé :
— Ça va p’tit loup ?
— Tranquille ! Volontairement, je préfère la foutre en veilleuse sur cette histoire de motard et de chasse à l’homme dont j’ai été la cible. Sûr, j’aimerais en toucher deux mots à Erik mais je sais d’avance que je n’en aurai plus rien à battre dans quelques minutes et puis surtout, je ne veux pas brusquer le vieux. Tout de suite, il semble nager en plein kif, ce ne serait pas réglo de lui niquer son trip.
— T’es sûr, p’tit loup ? T’as l’air stressé…
— Ouais, j’ai tapé trop d’chnouf ! je le rassure. C’est pour ça, j’suis contracté de partout.
— Faut qu’tu fasses attention à toi !
Ou quand l’hosto se fout de la charité. Erik m’entraîne dans la cuisine, sort une seringue de son congèle :
— Tu vois, p’tit loup, avec ça, tu t’mets une injection dans la queue et tu deviens le roi de la soirée. C’est encore mieux qu’le Cialis.
— Ah ouais?
— Ouais ! Avec ça, tu bandes très dur pendant des heures.
Zarma, comme dirait l’autre !
Erik remet la piquouze dans le glacier, nous quittons la cuisine et nous installons sur le canapé du salon, une pièce hermétique à la lumière du soleil, éclairée par des néons style « Red Light District » et des loupiotes multicolores dispatchées ici et là. L’ordi du poto dffuse un film de boule dans lequel un type positionné en doggy se fait fister par un barbu boosté aux stéroïdes. Erik change de vidéo, balance un porno hétéro. Sur la table à roulettes, une bouteille de Coca, des verres et un pochon contenant de la poudre blanchâtre. De la 4-mec (cathinones), achetée sur Internet pour le taro imbattable de dix dollars le gramme.
— Tu en veux ? me propose Erik.
— Ouais, carrément !
— J’te la mets dans un verre ? Ou tu préfères en para ?
— Nan, nan, j’préfère la snffer !
Il étale un peu de poudre sur la table, trace une ligne à l’aide d’une carte en carton et me file une paille vert fluo. Je n’attends pas pour m’envoyer la came dans le zen. Comparée à la cécé, la M-cat agresse le pif et la gorge mais l’avantage avec le snif, c’est que l’effet du produit monte vite au cerveau.
Erik saisit un flacon contenant un liquide transparent :
— Tu veux du GBL avec ?
— Ah ouais, j’veux bien !
Il me sert un verre de Coca, ajoute du Liquid X et se prépare un parachute de méphédrone. Nous trinquons et ingurgitons notre cocktail. Sur l’écran d’ordi, une brune aux pare-chocs énormes boffe un fion avant d’enfiler une paire de gants en latex.
Je dégaine mon teushi, une feuille, une garot, et me mets à rouler un pilon. Il est six plombes du matin et la rapta continue pour moi. Tout doucement, je commence à me détendre.
— Et sinon, Erik, ça raconte quoi ?
— Ma vie est une partouze ininterrompue ! me confie le frelot. Je n’arrête pas d’baiser, et j’enchaîne les plans fist.
Depuis qu’Erik s’est séparé de son keum, son appart s’est transformé en harem, comme il aime si bien le répéter. Je savais que l’addiction au sexe existait mais j’ignorais qu’elle pouvait atteindre ce niveau. Quand il ne reçoit pas de clients adeptes du massage prostatique, le pote enchaîne les partenaires, parfois une dizaine dans la même journée. Des films de boule defilent en permanence sur son ordi, sa vie entière est consacrée au cul, en témoigne son impressionnante bibliographie constituée d’ouvrages sur le fist, les massages érotiques et le barebacking.
Mon stress finit par s’évaporer. Quelques heures auparavant, un gars tentait de me liquider et je n’en ai plus rien à branler. Comme quoi, j’avais vraiment besoin de me malmener les neurones. J’éclate le zdar, tire trois grosses tafs dessus et le largue dans le cendar, puis me ressers un mix de Coca-GHB-4-mec.
— C’est quoi, le film le plus extrême que t’aies vu? me teste le poto, plongé dans sa matrice libidineuse.
— Une fois, dans une cabine de sex-shop, j’suis tombé sur une scène où un mec recouvert de merde se faisait enfoncer des doigts au fond de la gorge et n’arrêtait pas de dégueuler... Et toi ?
— Attends, je vais t’montrer...
Il pianote sur le clavier de son ordi, je découvre une scène hardcore : un type cagoulé défonce le cul d’un chien amorphe et sans doute drogué. En temps normal, j’aurais refusé de zieuter cette dégueulasserie mais sous méph’, même un snuf me laisserait de marbre. La magie des cathinones.
— Ça, c’est n’importe quoi ! s’insurge le soce.
— Ouais, c’est clair !
Il coupe la vidéo, balance une touze de transsexuelles et s’empare du pilon. Je me détends, savoure cette défonce.
Il est 10 h 30 quand je sors de chez Erik. Il pleut des cordes sur Paname mais je m’en bats les reins. Je me suis enquillé ma dernière ligne de 4-mec vers 8 heures et l’effet du produit se dissipe peu à peu. Je retombe doucement sur terre et, deux de tense, me dirige vers la station de métro. Crevé, je rêve de me téléporter dans mon plumard.
Quelle nuit d’enfoiré !
Il flotte à mort dans la capitale et le zef souffle à balle. Je ferme mon zomblard, hisse ma capuche au-dessus de ma tête. Pioncer. J’ai juste envie de pioncer. Je ne dois pas m’endormir dans le tromé, ça me soûlerait de me réveiller au dépôt.
Je m’engouffre dans la bouche de métro, mon téléphone sonne. Dragan, le patron de Dina. Il me veut quoi, ce con ?
— Ouais, Dragan ?
— L’Écrivain! Écoute, Dina est aux urgences là, elle a fait une overdose...
Paname underground de Johan Zarca, Éditions Goutte d'Or Prix de Flore 2017. Zarca fiste la liettrature sur Vice.com