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Blog «Ma lumière rouge»

​Interdiction du porno, la prochaine étape des prohibitionnistes

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Après l’interdiction d’acheter des services sexuels, la prochaine étape des prohibitionnistes est d’interdire la pornographie.
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publié le 26 novembre 2017 à 9h25

Interrogé par Konbini sur la pornographie durant la campagneélectorale, le candidat Macron avait répondu par ces simples mots : « çafait partie de la vie ». Cela avait bien entendu déclenché les foudres desforces prohibitionnistes, qui entre temps, semblent avoir obtenu gain de cause.

Le gouvernement vient d’annoncer comme nouvelle priorité lalutte contre la pornographie chez les jeunes. Rappelons qu’il est déjà possiblede pratiquer la sexualité dès 15 ans, puisque c’est l’âge de la majoritésexuelle, mais qu’il faut attendre 18 ans pour pouvoir en regarder, alors mêmequ’il n’a jamais été aussi facile de regarder du porno grâce à ladémocratisation d’Internet.

Mais ce qui est nouveau et en cause, est l’argument de l’impactqu’aurait la pornographie dans les violences faites aux femmes. On pensait quela France avait été épargnée par la croisade anti-porno de Dworkin et McKinnonde l’Amérique du Nord des années 1980. Voilà que les mêmes arguments « féministes »réapparaissent presque 40 ans plus tard.

Les militants en faveur de la pénalisation des clients n’enont pas assez et veulent aller plus loin. Le Mouvement du Nid a lancé unenouvelle campagne contre ce qu’ils appellent « l’exploitation sexuellefilmée ». Ils sont suivis par des personnalités proches de la Manif pourtous qui ont à cœur la « protection des enfants ». Parmi les pistesavancées, le gouvernement entend donner de nouveaux pouvoirs de contrôle au CSAet intervenir dans la régulation des contenus d’Internet.

Nous ne savons pas encore de quelle manière seront jugés lescontenus visés pour incitation à la violence contre les femmes ou pour imagedégradante, sachant que pour beaucoup, c’est l’ensemble de la productionpornographique qui est considérée comme sexiste, et responsable de la culturedu viol, (le porno sans femmes semble oublié).

Cependant, comme le souligne Peggy Sastre dans un article pour Slate, aucune étude scientifique ne vient corroborer cette théorie. Aucontraire, on n'a jamais autant regardé de pornographie qu'aujourd'hui, et pourtantle nombre de viols ou de violences sexuelles est toujours constant, voire endiminution aux Etats Unis qui mesurent ces violences depuis plus longtemps quela France.

L’enjeu est réel, car si la pornographie est à présent considéréepar l’état comme une cause des violences contre les femmes, pourquoi un adultene serait-il pas moins influencé et incité à violer ou commettre des violencesqu’un adolescent ? C’est une première étape gagnée de la part desprohibitionnistes qui auront tout loisir à réutiliser l’argument étant donné lareconnaissance grandissante de l’étendue des violences sexuelles dans nossociétés.

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Autrement, nous désignons une fois de plus un bouc émissairebien pratique, et au passage les travailleurSEs du sexe dans l’industrie de lapornographie continueront à être stigmatiséEs comme complices des violences faitesaux femmes, alors même que nombreuSEs parmi elles participent aux luttes féministeset contre ces violences.

L’ancienne actrice et réalisatrice Ovidie est par exempleune des plus grandes critiques de l’industrie de la pornographie, et a toujourslutté de l’intérieur, en faveur de pratiques de prévention ainsi que contre lesviolences subies par les actrices ou les femmes en général, tout en cherchant àfaire évoluer les représentations en produisant des films par elle-même. Dansson documentaire Pornocracy, elle met en cause les changements majeursintervenus ces dernières décennies avec des multinationales rachetant lesplateformes sur Internet, et créant une pression de plus en plus forte sur lesproductions et les acteuRICEs qui se retrouvent tout en bas de l’échelle desprofits.

Les politiques se sont toujours désintéressés des conditionsde travail des acteuRICEs porno, tout en taxant considérablement la production.Beaucoup d’actrices se plaignent des violences subies par des hommes qui lesreconnaissent dans la rue. Rien n’est fait pour les en protéger. Peut-être quecertains considèrent même qu’elles les méritent puisqu’elles participent à uneindustrie qui serait la cause de toutes les violences de genre ?

Combien de temps faudra-t-il pour se rendre compte que cesinterdictions n’apportent rien à la lutte contre le sexisme dans l’industrie dusexe, et contre les violences faites aux femmes dans la société ? Certainspays cités en exemple parmi les plus sexistes au monde font également partie deceux qui punissent de mort la production de pornographie… Le gouvernement va-t-ilinterdire le couple et la famille étant donné que la majorité des violences ontlieu au sein de ces institutions patriarcales ?

Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour uneéducation sexuelle qui ne stigmatise pas les comportements sexuels entreadultes consentants ? Les réponses simplistes comme l’interdiction et larépression semblent comme toujours les plus faciles à mettre en œuvre, tandisque la réflexion d’ensemble sur les causes de ces violences, et les moyens allouésenvers les victimes, notamment en ce qui concerne l’hébergement d’urgence ou le droit auséjour, continuent eux de patiner.