La proposition de loi visant à généraliser la résidence alternée des enfants a suscité de nombreuses critiques de la part des associations féministes (lire Libé du 23 novembre). L'un des arguments est la perte, pour les mères, de certaines prestations pécuniaires que cette mesure pourrait provoquer. Comme une protestation contre la baisse du prix de la maternité. Protestation que l'on pourrait trouver paradoxale dans le climat suscité par la vague #BalanceTonPorc. Le plus étonnant, c'est que les multiples exigences articulées à la suite du succès de ce hashtag n'aient pas mis en avant les liens existant entre les violences sexuelles et l'inégalité des rôles maternel et paternel. Car si les hommes se comportent d'une manière si indélicate avec les femmes, c'est parce que notre société favorise et impose parfois que ces dernières échangent avec les premiers des services sexuels, domestiques et reproductifs contre des contreparties matérielles. Dans ces échanges, les femmes n'agissent pas seulement comme des négociatrices. Elles endossent aussi le rôle de marchandises. Tandis que les hommes se comportent uniquement comme des négociateurs, et donc comme des sujets, elles sont à la fois les sujets et les objets de ces transactions.
Même la paternité devient une marchandise que les femmes «vendent» à leurs partenaires. Le mépris que les hommes se permettent d’exprimer envers les femmes est lié à ce statut de marchandises dont elles héritent dans ces échanges. Car même la plus précieuse des marchandises sera toujours dépourvue de dignité. Elle ne sera qu’un butin, une récompense, un signe de l’échec ou de la réussite masculine. Elle fera naître des désirs de vol, d’appropriation illégitime, des envies envers d’autres hommes. De plus, les marchandises se gâtent avec le temps, elles perdent de la valeur dans les échanges. Mais même lorsqu’elles sont vieilles et qu’elles n’ont plus rien à vendre, les femmes portent en elles ce stigmate d’indignité à cause de leur passé de marchandise. On ne cesse de leur rappeler qu’elles ne valent plus rien dans le marché des échanges économico-sexuels reproductifs.
C’est plus ou moins ainsi que l’on peut décrire la domination sexuelle structurelle dont les femmes sont victimes. Ce n’est pas une question idéologique, à la différence du racisme. Cette domination résulte de leur position et de leur rôle dans la famille, lesquels provoquent un effet de genre, c’est-à-dire agissent sur l’ensemble des femmes même lorsque ces dernières sont plus diplômées que les hommes et qu’une bonne partie d’entre elles jouissent d’un pouvoir social équivalent au leur.
C’est sûrement pour cela que l’extraordinaire phénomène produit par le hashtag#BalanceTonPorc a surtout concerné les femmes appartenant aux élites. Ce sont celles chez qui cette contradiction est la plus évidente, et donc aussi la plus violente. L’enjeu des années à venir sera d’inventer un modèle familial égalitaire dans lequel les femmes ne soient plus des pourvoyeuses de services rémunérés. La résidence alternée généralisée ne peut être l’unique solution. Mais cette initiative témoigne d’une volonté politique d’égalité parentale qui pourrait trouver d’autres concrétisations.
Les réactions de certaines associations féministes montrent qu’elles ne sont plus des agents d’égalité mais d’asservissement des femmes. Elles veulent avant tout renforcer le pouvoir de négociation des services sexuels, domestiques et reproductifs des femmes. Ces services doivent donc être toujours plus chers sur le marché, il faut les protéger contre les grands voleurs et petits prédateurs qui voudraient profiter de ces faveurs sans en payer le prix. Ces associations font semblant d’ignorer qu’une marchandise restera toujours une marchandise, si chère soit-elle et si longues soient les peines prévues contre les porcs, des plus brutaux aux simples impolis.
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.