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Lundi dernier, dans Libération, je révélais
les propositions de réforme de la zone euro que la Commission s'apprêtait à
rendre publiques trois jours plus tard, le mercredi 6 décembre. Cela m'a valu
un recadrage de Margaritis Schinas, le porte-parole de l'exécutif européen, qui
a affirmé que « personne ne savait de quoi il parlait » et que les
fuites médiatiques étaient nulles et non avenues. Il n'a pas parlé de
« fake news », heureusement, mais a estimé que le fait que la presse
allemande annonçait que la Commission allait affaiblir le Pacte de stabilité,
alors que j'affirmais au contraire qu'elle s'alignait sur les « casques à
pointe de l'économie » de la CDU-CSU, montrait bien que les fuites étaient
bidon. Et je vous passe les appels téléphoniques furibards de diverses
éminences européennes.
Vu la virulence des réactions, ce qui ne
m’impressionne guère, j’attendais donc avec intérêt la publication du paquet,
mercredi, pour voir si mes sources s’étaient trompées. Je vous la fais
brève : c’est exactement ce que j’avais annoncé. À tel point que je n’ai
pas jugé utile de faire un second papier répétant ce que j’avais dit dans le
premier. À ma grande tristesse, hélas, je n’ai pas eu droit aux excuses de
Margaritis Schinas puisque finalement j’ai démontré que je savais parfaitement
de quoi je parlais… On n’est pas beau joueur à la Commission. En réalité, le seul point de divergence, et il
est majeur, porte sur le jugement que l’on peut porter sur ce paquet. Or, si on
peut critiquer les erreurs factuelles, il n’appartient pas à la Commission de critiquer
les jugements que l’on porte sur son action en discréditant les journalistes.
J’estime, en effet, que Juncker s’est aligné sur les durs de la CDU-CSU alors
que le récit qu’il voulait vendre était au contraire qu’il leur avait
glorieusement résisté et mis sur la table un paquet à mi-chemin des craintes
allemandes et des souhaits français d’une plus grande intégration. Après
lecture de l’ensemble du paquet, je confirme point par point mon analyse.
Il est vrai que Schäuble n’a pas obtenu absolument
tout ce qu’il voulait, pas plus que la Bundesbank n’a pas obtenu de pouvoir
décider seule de la politique monétaire de la zone euro. En particulier, le
futur Fonds monétaire européen (FME) ne sera pas chargé de la surveillance
budgétaire des États de la zone euro en lieu et place de la Commission. Mais
quelle « victoire » ! Imaginait-on qu’elle allait se faire
hara-kiri toute seule ? Soyons un minimum sérieux. D’autant que le FME, en
dehors des périodes de crise, fera comme le FMI pour pallier son ennui :
il publiera des rapports « non contraignants » analysant l’état des
finances publiques, bref, il fera de la surveillance sans le dire… De même, la
Commission est toute fière d’avoir proposé que le FME rentre dans le cadre
communautaire. Or c’est bien un minimum. Le problème est que, comme le veulent
les Allemands, son fonctionnement restera en réalité intergouvernemental et
préservera le droit de veto allemand (et français, puisqu’il faut 85% des
droits de vote) sur le déblocage d’une assistance financière. En clair, c’est
un faux nez communautaire (le « memorandum of undestanding » sur son
fonctionnement est curieusement resté secret, comme c’est bizarre…).
Emmanuel Macron a-t-il obtenu, lui, quelque
chose ? Absolument rien : il n’y aura pas de budget de la zone euro
autonome, pas de solidarité financière, pas de parlement de la zone euro
contrôlant les activités de la Commission et de la zone euro. On peut retourner
les propositions de la Commission dans tous les sens, on ne trouve aucun
élément qui permette de dire que le chef de l’État français a été entendu. En
réalité, les propositions de la Commission « entérinent le statu
quo », comme le note très justement sur Twitter, Shahin Vallée, l’ancien
conseiller économique de Herman van Rompuy, ex-président du Conseil européen. Bref,
la belle histoire vendue par la Commission d’un paquet « équilibré »
est juste une vaste plaisanterie. D’ailleurs, Peter Altmaier, l’ex secrétaire
général de la chancellerie et ministre des finances par intérim, a immédiatement clamé sa satisfaction sur Twitter
pendant que Paris observait un silence de plomb.
On comprend mieux, dès lors, le secret absolu
ayant entouré la préparation de ce paquet, l’objectif étant à la fois de placer
la France (les négociations se sont déroulées entre le cabinet de Juncker et
celui de la Chancelière) et les commissaires (qui n’en ont pris connaissance
que la veille de son adoption) devant le fait accompli et d’empêcher la presse
de faire son travail d’analyse. Ainsi, mercredi, le « matériel de
presse » n’a été distribué qu’à 13h alors que la conférence de presse des
seconds couteaux de la Commission avait déjà commencé depuis 30’ (Juncker n’est
pas descendu pour s’expliquer). J’ai vigoureusement protesté contre ce mépris suscitant
l’approbation de mes collègues (c’est ici aux alentours de 6'). Dommage que certains d’entre eux aient gobé la
fable de la Commission sur le soi-disant équilibre du paquet. N.B. du 11 décembre : Margartis Schinas me signale que Bruno Le Maire, le ministre français des finances a bien réagi, mais seulement le 7 décembre. Un enthousiasme pour le moins mesuré. Personnellement, j'appelle ça un tweet poli: «Contribution bienvenue de @EU_Commission hier sur l'avenir de la zone euro. Ensemble nous devons porter des mesures ambitieuses pour créer une veritable union économique et monétaire, source de croissance et d'emplois». Tout est dans le mot «ensemble».