Conseil européen jeudi et vendredi. Comme à
chaque fois, il faut s’accréditer pour ces sommets qui réunissent 28 chefs d’État
et de gouvernement. Et là, pour une fois, nous recevons un badge (jaune,
couleur de la presse) orné d’un bonhomme de neige. Enfin un peu de poésie dans
ce monstre bureaucratique européen !
Les journalistes s’en amusent et certains
diffusent, vu l’ennui de ce Conseil sans enjeu, sur les réseaux sociaux ce joli
badge. Je publie le mien sur Twitter dans l’après-midi. Le soir, coup de fil
(très gentil) du service de presse du Conseil des ministres qui m’avertit que
je n’avais pas le droit de diffuser cette photo et qu’en conséquence mon
accréditation est annulée : je dois retourner au service ad hoc (le
bâtiment nommé Lex, situé rue de la Loi, à un jet de pierre du Conseil des
ministres) pour refaire mon accréditation. Je suis sidéré : aucune règle
de cette nature n’a jamais été portée à notre connaissance. Et je rappelle que
j’ai déjà publié sur Twitter plusieurs de mes badges (dont celui du sommet
UE-Chine) ou pris des photos d’officiels avec leur badge… La
« règle » secrète est d’autant plus absurde que rien n’interdirait à
un journaliste de donner son badge à une tierce personne pour qu’il le copie
(c’est l’argument), d’autant qu’on les garde une fois le sommet terminé (j’en
ai une collection qui remonte à 1990…). En tous les cas, faute d’avoir eu
connaissance de cette « règle », je refuse de retirer mon tweet.
Hallucinant, mais bon. Vendredi, je me
présente à nouveau au Lex et, comme d’habitude, je dois passer mes affaires
dans une machine à rayon X puis passer moi-même sous un portique de sécurité.
Et là, surprise, on me demande d’enlever ma ceinture et ma montre, alors que la
veille personne ne me l’avait demandé exactement au même endroit. Je proteste
déclenchant l’hostilité immédiate des agents (privés) de sécurité qui ont dû
apprendre leur métier dans une prison de haute sécurité. C’est d’autant plus
absurde que je n’ai accès qu’à un espace réservé aux journalistes porteurs de
la carte de presse. Mais, m’explique avec tendresse l’un des agents, si je ne
m’exécute pas, je n’entrerai pas. Pensez donc, une montre explosive ! Je
fais remarquer que mon pull comporte des boutons en acier, suscitant davantage
d’irritation des vigiles… Une fois muni de mon précieux viatique, je me rends
au Conseil des ministres. Nouvelle fouille. Mais là, comme la veille, personne
ne me demande d’enlever ma ceinture et ma montre… En clair, la sécurité est
plus dure pour assurer la sécurité des eurocrates que celle des chefs d’État et
de gouvernement.
Dans la série des absurdités, on atteint des
sommets lorsque le surréalisme belge se conjugue avec la bureaucratie européenne.
Ainsi, les journalistes n’ont pas le droit de longer le bâtiment où se
réunissent les chefs d’État. Pourquoi ? Pour éviter que les voitures des
cortèges officiels soient gênées par des piétons puisqu’à cet endroit, il n’y a
pas de trottoir et que, surtout, l’on est obligé de passer devant la sortie du
parking. Soit. Mais de l’autre côté du tunnel Loi (une autoroute urbaine à cinq
voies), la rue qui va du rond-point Schuman à la rue de la Loi est aussi fermée
sur 200 mètres alors qu’il y a un large trottoir et que l’on ne gêne personne.
Interrogée, la police belge est incapable de fournir une explication logique.
S’agit-il de protéger le bâtiment d’un tir de
bazooka, de missiles ou de fusil ? Même pas comme le montre les
photos : on peut passer en contrebas du bâtiment de la Commission ou rue
Charlemagne, deux endroits qui offrent des angles de tir tout aussi dangereux.
De toute façon, vu la densité urbaine du lieu, il est impossible de sécuriser
le bâtiment du Conseil. D’ailleurs, à Washington, on peut librement passer
devant la Maison-Blanche, tout comme à Paris on peut longer l’Élysée de tous
les côtés, seul le trottoir longeant l’accès principal étant interdit. La seule
conséquence de cette mesure absurde: obliger les journalistes (puisque
cette impossibilité de passer ne s’applique qu’à eux alors qu’ils sont munis
d’un badge sécurisé) à faire un grand tour pour gagner le point d’entrée qui
leur est réservé.
Allons plus loin : sous le bâtiment du
conseil européen, passe à la fois le tunnel Loi, une ligne de métro et une
ligne de train. La circulation des voitures n’est pas interrompue (on est en Belgique)
pas plus que celle des métros ou des trains. Mais les métros ne s’arrêtent pas
à la station Schuman alors que les trains si puisqu’il existe une sortie qui
n’est pas dans le périmètre de sécurité. Une raison ? Personne ne la
connaît. Le train est manifestement moins dangereux que le métro ou les
véhicules à moteur.
Ces illogismes sécuritaires eurocratiques ne s’arrêtent
hélas pas aux seuls sommets européens. Ils sont quotidiens : ainsi, les
commissaires ou les fonctionnaires de la Commission ou de n’importe quelle autre institution communautaire, lorsqu’ils se rendent au Parlement, doivent enlever leurs
ceintures tout comme les journalistes, alors que les assistants parlementaires
du Jobbik, des allumés néo-nazis hongrois, ou ceux d’Aube dorée, ne sont soumis
à aucun contrôle, pas plus d’ailleurs que les fonctionnairesl du parlement, les contractuels
ou les conjoints des députés, ce public étant jugé non susceptible de se
radicaliser dans la nuit. Même chose à la Commission ou au Conseil des
ministres, qui soumettent à des contrôles tous ceux qui ne sont pas de la
maison. Comme me le fait remarquer ironiquement un fonctionnaire, “Schengen a supprimé les frontières entre les Etats, mais pas entre les institutions communautaires”.
En fait, les seuls à être contrôlés partout sont les
journalistes, surtout s’ils sont armés d’une caméra ou d’un ordinateur,
manifestement les seuls à être identifiés comme une menace claire et immédiate (bien que
détenteur d’une carte sécurisé infalsifiable). À la Commission, ils sont même
soumis à un double contrôle par, notez bien l’ironie, des vigiles d’une compagnie privée dont le CV est infiniment moins contrôlé que celui des journalistes : à l’extérieur du bâtiment, une inspection rapide des
sacs pour s’assurer que nous n’avons pas de kalach en kit, à l’intérieur passage aux rayons X et portique de sécurité.
Les ceintures
sont donc considérées comme des armes par destination, mais le fait que sous les
institutions communautaires passent des lignes de train et de métro, des
tunnels autoroutiers ou encore que les voitures entrant au parking de
l’europarlement, de la Commission ou du Conseil ne soient pas inspectées ne
pose manifestement de problèmes à personne. Mais au fond, la politique
sécuritaire de l’Union est peut-être celle de l’absurdité : n’importe quel
terroriste s’y perdrait devant ces règles sans queue ni tête.
Mais cette mésaventure aura donné des idées aux Twittos. J’ai droit à un mème, le selfie d’Emmanuel Macron où apparait à droite la tête du Premier ministre belge, Charles Michel ayant fait rigoler la Belgique entière.