En mémoire de Karima, Niurka, Véro, poussées au suicide et assassinées, et de toutes celles dont on ne peut citer le nom.
Il parait que la lutte contre les violences sexuelles et de genre est la priorité du gouvernement. Mais sans doute est il plus convenable que les victimes ne soient pas travailleuses du sexe. Invitée par la secrétaire générale du STRASS à leur rassemblement d'aujourd'hui contre les violences, la secrétaire d'état Marlène Schiappa n'a même pas répondu à l'invitation.
Rassemblement du STRASS à République le 17 décembre 2017
Hier encore, à la veille de la journée mondiale contre les violences faites aux travailleurSEs du sexe, un corps démembré était retrouvé au bois de Boulogne. En juin dernier, un autre corps avait été retrouvé dans des conditions similaires également dans le Bois de Boulogne. Il pourrait donc s'agir de «meurtres en série» mais personne ne prononce ces mots.
Les signalements d'agressions de la part des travailleurSEs du sexe sont encore en hausse en 2017. L'action du Lotus bus de Médecins du Monde est passée de 103 accompagnements concernant des violences en 2015 à 148 en 2017. Parmi les victimes, 41 ont bénéficié d'un accompagnement juridique en 2015 pour 71 en 2016. Mais le nombre de violences pourrait en réalité avoir plus que doublé car les travailleuses du sexe sont découragées de porter plainte par les discriminations de la part de la police et de la justice.
«Le fait de pouvoir obtenir des papiers quand tu dénonces un exploiteur et pas quand tu dénonces un viol ou un autre crime, c'est quelque chose qui n'est pas du tout compris dans la communauté des femmes chinoises, car certaines ont juste travaillé dans un appartement pour un patron sans subir aucune violence ni contrainte, et ont réussi à avoir des papiers. Le fait qu'il n'y a pas de protection au séjour pour les victimes de violences défavorise les signalements. Il y a encore souvent de la part des juges le soupçon que les femmes ne portent plainte que pour obtenir de l'argent ou des papiers car elles sont des travailleuses du sexe.» Sarah-Marie Maffesoli, responsable du programme anti-violences MDM
Elle ajoute que la pénalisation des clients a eu en partie comme effet que de nombreuses femmes se sont déplacées du travail de rue, trop exposé au harcèlement policier, vers du travail sexuel en appartements, souvent en province, et organisé par un patron. Or, la plupart ne portent jamais plainte contre les violences lorsqu’elles sont dans cette situation car cela exposerait leur lieu de travail et une forme de salariat cachée interdite par la loi, car assimilée à du proxénétisme. Y compris en ce qui concerne leur propre logement, les travailleuses du sexe préfèrent ne pas porter plainte pour que la police ne connaisse pas leur adresse et qu’elles ne se retrouvent pas ensuite à la rue.
De plus, les indemnités obtenues en justice sont relativement faibles en comparaison d’autres types de victimes. Récemment encore, dans une affaire pour viols en série avec arme, seules les femmes rentrées dans leur pays qui ne pouvaient plus bénéficier des compensations ont été reconnues victimes, tandis que celles encore en France n’ont bizarrement pas été reconnues comme telles. Il est donc remarquable que les signalements de violences continuent à augmenter alors que les travailleuses du sexe ont souvent peu intérêt à porter plainte, voire prennent de vrais risques pour le maintien de leurs revenus, leur droit au logement et le respect de leur vie privée et familiale.
Du côté du STRASS (Syndicat du Travail Sexuel), on explique que la précarisation entraînée par la pénalisation des clients pousse à prendre plus de risques, à accepter des agresseurs qui se font passer pour des clients en profitant de la détresse économique, et à travailler dans des endroits plus reculés & isolés, et donc dangereux.
Cadyne Sénac, responsable du service juridique du STRASS explique que si les faits de violences sont en nette augmentation pour les travailleuses de rue, le nombre de signalements de la part d’escortes passant des annonces via Internet reste stable. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les clients des escortes ne sont pas arrêtés, et que les conditions de travail n’en ont pas été bouleversées de la même manière que dans le travail de rue. Elle note cependant de nombreux signalements de harcèlement, chantage et menaces auprès des escortes, avec une augmentation d’appels anonymes sans affichage du numéro depuis la pénalisation des clients, qui crée un contexte beaucoup plus stressant et moins sécurisant. Malheureusement, là encore, pour la police ces infractions ne sont pas considérées comme suffisamment sérieuses pour conduire à une véritable enquête. On conseille donc aux victimes de revenir porter plainte quand elles auront subi de «vraies violences» physiques ou sexuelles.
Aujourd’hui, à l’occasion de la journée mondiale contre les violences, le STRASS organisait un rassemblement place de la République à Paris. Mylène Juste, la secrétaire générale du syndicat rappelait que ces violences n’étaient pas le fait du hasard ou seulement de quelques individus déviants du système. Au contraire, elles sont nourries par le système politique actuel qui infantilise les travailleuses du sexe, nie leur capacité de consentement, et leur refuse les mêmes droits et protections qu’aux autres travailleurs.
«La première violence que nous subissons est celle de l'état. Les violences sont le fruit du traitement politique du travail sexuel. On ne porte pas plainte pour de nombreuses raisons: la peur des représailles, la peur de la perte de la garde des enfants, la peur de l'impact sur la famille, la peur du contrôle fiscal, la peur de la perte du logement, la peur de l'expulsion du territoire, enfin la peur de personnes qui souffrent de la traite et d'exploitation.» Mylène Juste, secrétaire générale du STRASS
Contacté par téléphone et email vendredi dernier, le cabinet de madame Schiappa s’excusait que «personne ne soit en capacité de répondre» à mes questions: ni la ministre, ni aucun membre de son cabinet, étant tous en réunion ou déplacement. Bien que leur ayant laissé mes coordonnées et précisé que j’écrirai un billet à l’occasion de la journée mondiale, je n’ai reçu aucun appel depuis.
A notre connaissance, aucune action n'est menée de la part de l'état ou des pouvoirs publics pour lutter contre les violences subies par les travailleurSEs du sexe, puisque c'est la «prostitution» qui serait une violence en soi. Rencontrée en septembre, madame Petit alors conseillère droits des femmes de la ministre m'expliquait que «le but de la loi n'est pas d'améliorer les conditions de vie des personnes en situation de prostitution, mais de les accompagner vers un parcours de sortie». Entre temps, celle-ci a été promue directrice de cabinet de madame Schiappa.
Cette dernière n'a donc pas eu de temps pour les travailleurSEs du sexe à l'occasion de la journée mondiale contre les violences les concernant, mais elle en a cependant pour les associations prohibitionnistes en faveur de la pénalisation des clients et contre le «système prostitutionnel» puisque dans un tweet du 14 décembre, elle annonce qu'elle les recevra demain pour faire un point d'étape sur la loi, précisément dans le cadre d'une journée rebaptisée «pour l'élimination des violences faites aux personnes prostituées»...
Graphique du réseau européen des travailleurSEs du sexeICRSE publié à l'occasion de la journée mondiale contre les violences faites aux TDS
Crédit @ICRSE
«J’ai choisi des prostituées comme victimes parce que je hais les prostituées, et je ne voulais pas les payer pour avoir du sexe. De plus, c’était très facile de les assassiner sans se faire arrêter. Je savais qu’elles ne seraient pas tout de suite portées disparues et ne le seraient probablement jamais. J’ai choisi de tuer des prostituées parce que je savais que je pouvais en tuer beaucoup sans me faire attraper.» Gary Ridgway, tueur en série
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