La militante féministe Caroline de Haas a publié une pétition dans le Journal du dimanche (5 décembre), signée par une centaine de «personnalités», afin que le président de la République mette en place un plan d’urgence contre les violences sexuelles. Outre les mesures habituelles visant à renforcer les inutiles dispositifs juridiques existants, elle prône un «changement de mentalités» rapide qu’elle compare aux procédés mis en place pour diminuer les accidents de la route. Cette pétition fait écho à d’autres textes du même acabit qui ont circulé depuis le succès du hashtag #balancetonporc. Il y est question de «débloquer» des fonds tout de suite pour que des mesures urgentes soient prises.
Or rien ne jure davantage avec ce mouvement que ce genre de pétitions. D'abord le fait qu'elles soient signées par des «personnalités» censées être plus que les simples personnes. Et ces «créatures supérieures» ne disent même pas : «Moi aussi j'ai été agressée» comme les actrices qui ont dénoncé Harvey Weinstein et qui se sont mises dans une position de fragilité et d'égalité avec toutes les femmes. Les «personnalités» de ces pétitions se limitent à demander que des mesures d'urgence soient prises, que l'on «débloque» l'argent nécessaire pour y arriver. Ces signatures parce qu'«exemplaires», pousseraient les femmes inconnues à signer à leur tour. Or la force de la révolte abritée par Twitter est précisément de faire en sorte que toutes les voix féminines aient la même valeur, que nous puissions devenir anonymes dans ce geste de balancer des porcs. Les dénonciatrices se servent par ailleurs de pseudonymes, ce qui renforce cette idée d'être quelconques et d'être toutes à la fois. Cette question est centrale pour un mouvement qui cherche l'égalité sexuelle entre les genres. Comment ne pas le dénaturer en postulant l'existence de femmes prétendument supérieures, de «personnalités» ?
Cela explique le deuxième grand vice de ces pétitions. On y exige d’Emmanuel Macron des plans d’urgence, de lâcher de l’argent vite et sans marchander pour en finir une fois pour toutes avec les viols, les harcèlements et les remarques désobligeantes. Comme s’ il s’agissait de lutter contre la faim ou les maladies dans les pays pauvres : il suffirait de payer pour que la nourriture et les médicaments soient distribués parmi les malheureux. Or l’intérêt de #balancetonporc est justement d’avoir débordé des schémas de représentation traditionnels où s’inscrivent revendications féministes et discours qui les accompagnent. Ce n’est pas la facilitation des dépôts de plaintes devant la justice ou la création de nouvelles infractions que ce mouvement vise. Son but est de dénoncer la violence sexuelle structurelle dont chaque femme sans exception est victime. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire les tweets qui ont proliféré par milliers sous ce hashtag.
C’est pourquoi, pour être fidèles à cette révolte, il faudrait consacrer nos énergies à l’organisation d’un grand débat national afin de poser les bons diagnostics de la situation actuelle et trouver les meilleures solutions. Bref, nous donner les moyens de savoir ce que nous voulons faire pour mettre fin à la domination sexuelle des femmes. Compte tenu de l’incapacité des médias audiovisuels d’organiser ces débats - parce qu’ils ne savent pas comment s’y prendre et peut-être aussi par que leurs chefs et leurs stars ne connaissent pas le même sort que leurs homologues américains - il faudrait que ce soit la société civile qui le fasse avec l’aide financière de l’Etat. La société française doit être en état d’entretenir une longue et profonde conversation dans laquelle chaque avis doit être entendu et discuté. Même les beaufs, les plus vulgaires et les plus machistes devraient s’exprimer afin de se donner les moyens de leur répondre. Ces pétitions cherchent avant tout à nous empêcher d’exercer le plus authentique des privilèges démocratiques : celui de penser avec et grâce aux autres.
Cette chronique, assurée en alternance par Paul B. Preciado et Marcela Iacub, reprendra le samedi 6 janvier.