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Libération
TRIBUNE

Macron dans les pas de Hayek

L’action du président de la République trouve sa cohérence dans la pensée de l’économiste libéral et conservateur.
Friedrich von Hayek à la fin des années 30. (Photo Rue des Archives . PVDE)
publié le 25 décembre 2017 à 18h16
(mis à jour le 25 décembre 2017 à 18h25)

Les multiples interprétations quant aux sources de la «philosophie» d’Emmanuel Macron, outre la sempiternelle référence à Paul Ricœur, invoquent les pensées de John Rawls, de Michael Walzer ou encore d’Amartya Sen.

Sur le site The Conversation, le 1er mai, mon excellente collègue Speranta Dumitru cherchait à dégager l'influence du concept de «capabilités» sur la pensée du chef de l'Etat. Elle se fondait, pour l'essentiel, sur le discours de Toulon du 22 février 2017, dans lequel Macron s'interrogeait : «Défend-on la liberté vraiment lorsque certains n'ont pas droit à la liberté, lorsque certains n'ont pas - alors qu'ils ont envie - des capacités, dans nos quartiers, dans la ruralité, de "faire" ?». Excellente question, mais bien oubliée depuis les débuts de l'actuelle présidence.

C’est bien plutôt chez des penseurs défendant des idées opposées à celles des philosophes précités (dont l’orientation majeure est la lutte contre les inégalités et la volonté d’instaurer la justice sociale au moyen de politiques redistributives) qu’il faut chercher les fondements du macronisme.

Certes, si John Rawls a été évoqué, ce n'est pas tout à fait sans fondement. L'auteur de Theory of Justice inclut, en effet, dans le contrat social des considérations touchant à la coopération économique, dont l'objet et le critère sont l'efficacité. Or, ce type de justifications est clairement dans l'esprit du président de la République. A condition toutefois que la priorité soit donnée à la responsabilité individuelle. Aussi la distinction entre les circonstances et les choix, centrale chez de nombreux libéraux de gauche, dont le plus important est Ronald Dworkin, n'est-elle jamais évoquée alors que sans elle l'idée même de justice sociale est privée d'assises.

Que fait, très régulièrement (et souvent fort maladroitement), le président de la République ? Il évoque l'idée d'une rétribution de nos mérites, laquelle serait juste par nature (nonobstant l'équivocité du concept de mérite). Nous sommes donc très éloignés de la considération première accordée à la solidarité que certains interprètes pressés (ou partiaux) ont cherché à mettre en exergue (il serait fastidieux d'énoncer l'arsenal de mesures qui étayent la proposition selon laquelle la politique gouvernementale se préoccupe fondamentalement d'efficacité et très secondairement de solidarité).

Si bien que c’est plutôt vers Friedrich von Hayek (1899-1992) qu’il convient de se tourner si l’on souhaite trouver une relative cohérence dans la politique du chef de l’Etat. A ma connaissance, cette parenté idéologique est absente des commentaires. Cela est d’autant plus surprenant que, bien que politiquement de droite, certaines des préconisations de Hayek vont dans la direction opposée. Il accorde, en effet, une grande place aux avantages pour la communauté dans son ensemble, ce qui justifie, d’un point de vue conséquentialiste, par exemple la nécessité de subventionner l’éducation supérieure et la recherche (Emmanuel Macron n’a sans doute pas lu les passages justifiant cette recommandation), mais il se fonde également sur un principe déontologique, l’égalité devant la loi, pour refuser l’impôt progressif (on peut imaginer que cet aspect a été bien assimilé par l’actuel gouvernement).

Cette ambivalence est bien présente chez Emmanuel Macron (ce qui explique sans doute que certains, à gauche, continuent à trouver quelque vertu à sa politique), même si son orientation décisive ne prête plus désormais à contestation.

De surcroît, ce qui frappe est le conservatisme du philosophe autrichien, et ce conservatisme apparaît, de jour en jour, comme l’aspect central de la politique macronienne, au-delà d’un illusoire dépassement du clivage gauche / droite. Encore faut-il bien s’entendre sur sa signification.

Pour Hayek, les règles sociales et les institutions, ayant subi avec succès le processus évolutif, n’ont pas à être changées. Cet optimisme évolutionniste, c’est-à-dire l’idée que l’histoire va spontanément dans la bonne direction, me semble largement caractériser le macronisme.

L’efficacité de l’action de l’homme supposerait ainsi de suivre des règles, notamment celles qui, par l’autorégulation du marché, permettraient l’obtention d’un maximum de bienfait. Il serait donc déraisonnable de s’engager dans une politique redistributive, laquelle mettrait en péril la liberté en tant que valeur fondamentale. On peut toujours rhétoriquement invoquer la justice sociale, mais celle-ci n’est jamais un objectif fondamental, tout juste un éventuel bénéfice secondaire. Dans notre pays, cette référence, quel que soit le crédit que l’on souhaite lui accorder, fait en effet partie des incantations contraintes.

L’«évolutionnisme» de Hayek doit être compris comme une pensée informée des limites de l’action volontaire et consciente. La raison, en effet, ne saurait déterminer la désirabilité des actions, ses limites provenant de la complexité du monde humain, complexité qui dépasse largement les possibilités de notre cerveau. On ne saurait dès lors établir un ordre nouveau à partir de la raison, ce qui explique le choix de Hayek en faveur d’un accord conventionnel implicite sur l’observance de règles de conduites, règles qui doivent s’imposer parce qu’elles seraient au service de l’intérêt commun.

N’est-ce pas ici une clé de compréhension de l’orientation donnée par le gouvernement, notamment, à la transformation du droit du travail ?

Aussi, l’appel à l’expérience de l’injustice (que l’on retrouvera au fondement de certaines théorisations «post-rawlsiennes», telles celles d’Amartya Sen) n’a-t-il aucune pertinence aux yeux de Hayek, le principe de la politique ne saurait être le bonheur, mais seulement la liberté.

La politique menée depuis mai 2017 permet de constater que la considération de l’injustice n’a guère sa place et que, du sort des plus démunis nul, ne paraît réellement se préoccuper. Dans la pensée d’Emmanuel Macron, les mouvements sociaux sont donc privés de légitimité puisqu’ils viennent contester un ordre consacré par l’évolution et visent à instaurer une «démocratie de marchandages».

L’intervention de l’Etat doit dès lors être sérieusement limitée car elle risquerait de mettre en péril l’intérêt général, celui-ci ne pouvant être sacrifié à l’autel du clientélisme.

Si nous interprétions la politique du chef de l’Etat à l’aune de la pensée de Hayek, il ne serait pas exclu d’en voir plus aisément la cohérence et, en même temps (sic), de supprimer l’équivocité de la référence conjointe à la droite et à la gauche.

Dernier livre paru : Ronald Dworkin ou l'empire des valeurs (Classiques Garnier, 2017). A paraître en 2018 : le Sens du cosmopolitisme.