Emmanuel Macron en promoteur d’un libéralisme économique débridé, l’affaire était entendue. En supprimant l’ISF ou en achevant le code du travail, peut-être le Président a-t-il surpris par la brutalité et la radicalité de son parti pris mais ce cap était attendu. En revanche, Macron révèle désormais au grand jour le revers de son libéralisme économique : une attaque en règle des libertés individuelles et collectives, un mépris profond pour la démocratie, une attention bien secondaire pour les droits humains.
Avec son style calme, sa «bienveillance» et sa modernité en bandoulière, le candidat Macron avait enfilé les perles sur le vent de liberté qu’il entendait faire souffler sur notre grand pays des droits de l’homme. Et l’on découvre, patatras, un adepte des ordonnances en lieu et place du débat parlementaire, un défenseur de l’état d’urgence permanent, un attaquant du droit d’asile, un saboteur du droit syndical, un sympathique interlocuteur à l’international de régimes autoritaires et liberticides.
Les vœux du Président à la presse viennent d'apporter une cerise sur le gâteau : non content de laisser se déployer la concentration dans les médias et la précarité dans l'industrie de l'information, Macron s'en est pris auxfake news. Alors même que toutes les dispositions existent déjà dans la loi pour saisir un juge en la matière, ce n'est donc pas aux fausses nouvelles que le Président s'en est pris mais à l'espace d'expression horizontal par excellence et au pluralisme politique.
Emmanuel Macron ne se contente pas de s’offrir une séance magistrale de propagande sur France 2, une promenade élyséenne au rythme des questions les plus courtisanes de l’histoire du journalisme français. Il veut désormais que l’Etat décide de ce qui est une vérité et ce qui ne l’est pas. Bienvenue en démocratie. Ce qui m’étonne, c’est l’étonnement qui s’exprime aujourd’hui devant ces écarts pris par Macron et le gouvernement avec les libertés. Comme si, sincèrement, ces esprits sidérés pensaient qu’il pouvait en être autrement, que Macron ultralibéral serait un défenseur des libertés et des droits humains.
Les logiques politiques sont têtues : le libéralisme économique a pour corollaire le renforcement du contrôle social et l'affaiblissement de la démocratie. La fable selon laquelle la liberté du capital irait de pair avec la démocratie relève d'un conte pour enfants du XXe siècle. Les Etats-Unis nous donnent la leçon dans ce domaine avec Donald Trump : le pays du libéralisme économique par excellence est dirigé par un chef d'Etat liberticide, parangon de machisme et de racisme, danger planétaire pour les droits humains. En Europe, c'est Margaret Thatcher qui a donné le ton de cette formule. Sous son ère, l'allégement des impôts pour les plus riches et la privatisation en chaîne de services publics se sont accompagnés de lois restreignant les libertés syndicales ou du refus de condamner le régime de l'apartheid en Afrique du Sud. N'oublions pas que Thatcher considérait Mandela comme un terroriste et a laissé mourir Bobby Sands, leader de la cause irlandaise.
La France de Macron emboîte le pas de ces recettes tristement éprouvées en Europe durant les quarante dernières années, de ce binôme libéralisme économique - contrôle social accru. D'un côté, le gouvernement offre de nouvelles libertés aux capitaines d'entreprise pour leur donner la possibilité, avec la rupture conventionnelle collective, de licencier sans motif économique ou de se séparer d'un employé en CDI pour le remplacer dans la foulée par un CDD. De l'autre, il s'apprête à accroître le contrôle des chômeurs, en leur imposant un rapport d'activités mensuel, en augmentant les obligations de pointage ou en les radiant pour refus à deux reprises sans motif «légitime» d'une offre «raisonnable» d'emploi.
D’un côté, les peines encourues par les entreprises aux prud’hommes sont allégées. De l’autre, un salarié écope de 17 000 euros d’amende pour avoir jeté des confettis dans des locaux patronaux. Le gouvernement met fin à l’ISF et donne des largesses aux rentiers du capital avec la «flat tax» et, dans le même temps, se montre insensible au sort des réfugiés syriens ou des sans-abri.
Plus le profit et la rente sont libérés de contraintes, de ponctions redistributives, plus la pauvreté et les inégalités explosent. La politique économique libérale contrevient donc à l’intérêt concret des catégories subalternes qui voient leur qualité de vie s’abaisser. Dès lors, la surveillance des libertés devient nécessaire pour affirmer le pouvoir de l’Etat qui s’en est dépossédé sur le terrain économique, pour limiter les espaces de rébellion et mieux laminer les possibilités d’insubordination.
Le chômage de masse et la précarité sont des entraves aux capacités concrètes des individus de penser et agir pour la démocratie et leur liberté. Vous ajoutez une pincée de méritocratie, laissant accroire que notre société n'est pas favorable aux héritiers mais à celles et ceux qui auraient tout simplement la volonté de réussir, et une bonne dose de technocratie, augmentant la distance entre les inclus et les exclus. Le résultat est à la hauteur des crises sociales et démocratiques que nous traversons. Nous voici dans Ken Loach, Moi, Daniel Blake.
Dans ce monde, l'égalité et la fraternité ne deviennent que des mots, vides et vains. La liberté se brade et dépérit. Il faut prendre au sérieux le propos de Christophe Castaner sur ces sans-abri qui refuseraient une place en centre d'hébergement par «liberté». Comment ne pas y voir le scandale de la «servitude volontaire» dans lequel les êtres humains renoncent librement à leur liberté ?
Avec d’autres, le prix Nobel d’économie Amartya Sen a développé l’idée simple selon laquelle la liberté n’est qu’un mirage si l’on n’a pas de toit sur la tête, de quoi manger, se soigner, s’éduquer, se cultiver. Une société qui progresse est une société qui développe les possibilités pour chacune et chacun de devenir des personnes autonomes, libres parce que sujet de leur vie. La liberté chevillée au corps de la macronie est celle du capital et des puissants. Elle ne peut être autre chose.
L’autre chemin vise une logique inversée : enrayer le libéralisme économique et sa jungle de concurrence libre et non faussée pour mettre en commun les richesses, les pouvoirs, les savoirs et les temps de la vie. D’un côté, des règles qui protègent le grand nombre de la course au profit et de l’accaparement des biens par une poignée de possédants. De l’autre, une nouvelle République pour vitaliser notre démocratie, élargir le socle des droits et permettre à la liberté de devenir un horizon tangible.