Angela Merkel a un rêve : placer son
poulain, Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank, à la présidence de la
Banque centrale européenne (BCE) afin d’en terminer avec le
« laxisme » de Mario Draghi qui achèvera son mandat de huit ans le 31
octobre 2019. Une perspective qui donne des sueurs froides à la France et aux
pays du sud de la zone euro, mais aussi aux marchés qui n’ont aucune envie
d’assister au retour des monétaristes ultra-orthodoxes de la Bundesbank. Cette
bataille, qui apparaît encore lointaine, commence en réalité ce lundi avec le
dépôt des candidatures à la succession du vice-président de la BCE, le
Portugais Vitor Constâncio dont le mandat prend fin le 30 juin. Beaucoup
craignent que la nomination d’un représentant d’un pays du sud ouvre grand les
portes de la présidence à l’Allemagne… Or, pour l’instant, le seul candidat
déclaré est le ministre des finances espagnol, Luis de Guindos.
Dream team
L’attelage actuellement à la tête de la BCE a,
sans aucun doute, sauvé l’euro par son pragmatisme, l’Italien Mario Draghi
jetant par-dessus bord l’héritage de la Buba qui avait réussi à imprimer sa
marque sur le traité de Maastricht. Pour les monétaristes allemands, la Banque
centrale n’a qu’une mission, assurer la stabilité des prix et non assurer le
sauvetage des États ou même de la monnaie. C’est pour cela que la Bundesbank
s’est opposée durement à la BCE, y compris en soutenant ceux qui l’attaquaient
devant la Cour constitutionnelle fédérale allemande et la Cour de justice de
l’Union européenne : selon elle, la BCE est allée au-delà de sa mission en
intervenant sur le marché de la dette publique pour éviter la faillite de la
Grèce et des autres pays attaqués ou en faisant tourner à plein régime la
planche à billets (« quantitative easing ») pour que la zone euro ne
sombre pas dans la déflation. Au point qu’aujourd’hui, cauchemar pour un
monétariste germanique, la BCE détient dans ses coffres 1889 milliards d’euros
de dettes publiques, soit 19,47 % de son montant total, l’équivalent de 15 % du
PIB de la zone euro. Autant dire que le budget de la zone euro existe déjà et
se trouve à Francfort, dans les coffres de l’institut d’émission.
La guerre entre ultra-orthodoxes allemands et
pragmatiques du sud, a fait plusieurs victimes : lassé d’être mis
systématiquement en minorité au conseil des gouverneurs, qui réuni le
directoire de six membres et les gouverneurs des banques centrales de la zone
euro, mais aussi parce qu’il avait compris que Paris s’opposerait à ce qu’il
accède à la présidence de la BCE après le départ de Jean-Claude Trichet, Axel
Weber, le patron de la Buba, a démissionné de son poste le 30 avril 2011. En
septembre, c’est au tour de l’économiste en chef de la BCE et père du Pacte de
stabilité, Jürgen Starck, de claquer la porte. « On a failli perdre l’Allemagne »
reconnaissait alors Trichet. Pour écoper, Merkel nomme son conseiller
économique, alors âgé de 42 ans, à la tête de la Buba. Ce faucon de la plus
belle espèce, opposé au sauvetage de la Grèce, a repris le combat de son
prédécesseur en critiquant y compris en public la plupart des décisions de la
BCE.
Le retour des monétaristes orthodoxes?
Le drame est que la « dream team »
qui a sorti la monnaie unique de l’ornière va être décimée en 18 mois : outre
Constâncio, le Belge Peter Praet suivra en juin 2019, puis Draghi en octobre et
enfin le Français Benoit Coeuré en décembre… On mesure donc l’importance de la
partie d’échecs qui débute ce lundi. Un directoire de faucons et la prochaine
crise pourrait bien être terminale, même si la zone euro s’est beaucoup
renforcée depuis 2010, notamment grâce à l’union bancaire (que l’Allemagne
refuse pour l’instant d’achever). Sans compter qu’il faudra énormément de doigtés
pour normaliser la politique monétaire de la BCE non seulement en sortant de l’assouplissement
quantitatif, mais aussi en allégeant son bilan (vente de la dette publique) et en
augmentant les taux d’intérêt (actuellement à zéro). Si le raidissement est
trop rapide, ce sera catastrophique pour la croissance.
Pour faire obstacle à Guindos, le nom du
Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, le président sortant de l’Eurogroupe, a été
cité plusieurs fois, mais le gouvernement de son pays semble ne pas vouloir
pousser la candidature d’un homme dont le parti a perdu les dernières
élections. L’Irlande hésite à présenter son gouverneur, Philip Lane, ou sa
vice-gouverneure, Sharon Donnery. Et la France ? François Villeroy de
Galhau, actuel gouverneur de la Banque de France vise, lui, la succession de
Draghi. C’est pour son carnet d’adresses européen et ses réseaux qu’il a d’ailleurs
obtenu la nomination, mercredi dernier, comme sous-gouverneur de Sylvie
Goulard, éphémère ministre de la Défense. Mais l’Allemagne pourra-t-elle
accepter un nouveau tandem du sud à la tête de la BCE ? D’autant que la
France a déjà eu un poste de vice-présidence (Christian Noyer entre 1998 et
2002) et de président (Trichet de 2003 à 2011). Cela étant, Berlin n’aura aucun
droit de véto, le vote au sein du Conseil européen des chefs d’État et de
gouvernement pour désigner le directoire ayant lieu à la majorité qualifiée.
Des Allemands à tous les étages
À l’inverse, il est à peu près certain que
tous les pays du sud feront bloc pour empêcher l’accession de Weidmann à la
tête de la BCE. Comme on le reconnaît à Paris, c’est moins sa nationalité qui
est en cause que sa personnalité. Mais on peut très bien imaginer que si Angela
Merkel accepte une partie des propositions d’Emmanuel Macron pour approfondir
la zone euro, le poste de président de la BCE pourrait revenir à un Allemand afin
de garantir que la solidarité financière n’impliquera pas un usage irréfléchi
des deniers allemands. Il faudrait, pour que ce compromis soit acceptable par
tous, qu’il soit acté que le patron de la Bundesbank n’occupera pas le bureau
de Draghi… Reste que dans un tel cas de figure, toutes les institutions
financières de l’Union seraient dirigées par des Allemands : BCE,
Mécanisme européen de stabilité (Klaus Regling) appelé à devenir Fonds
monétaire européen et Banque européenne d’investissement (Werner Hoyer)…
Photo: JQ