Les Français n'aiment plus leur classe politique. A vrai dire, ils ne l'ont jamais adorée, et l'antiparlementarisme est pratiquement né avec la IIIe République. Comme si le droit de choisir librement ses élus impliquait aussitôt déception et ressentiment. La Ve République avait tenté de restaurer l'image de la politique grâce au prestige gaullien et à l'instauration de l'élection du président au suffrage universel direct. En vain : le fossé n'a cessé de se creuser entre les électeurs et les élus, la réputation du monde politique se dégradant sans cesse jusqu'à tourner à l'aversion.
Les Français ne croient ni à l’honnêteté, ni à la compétence, ni à la capacité d’écoute des élus et des dirigeants. Chaque année, les sondages, la montée de l’abstention, celles des votes blancs et nuls en témoignent. Régulièrement, implacablement, le niveau des populismes d’extrême droite ou de gauche radicale le confirme. Le purgatoire des politiques se poursuit et se durcit. L’élection présidentielle de 2017 avec sa vague théâtrale de dégagisme l’illustre. La victoire d’Emmanuel Macron, le renouvellement spectaculaire des élus, nouveaux venus de la société civile, l’évolution des formes de participation (sites, forums, consultations électroniques) pouvaient faire espérer une rémission, sinon une guérison. Il n’en est rien. Le purgatoire continue et risque même de s’accentuer.
On peut, certes, rétorquer que tout cela est profondément injuste, que l’immense majorité des élus et des dirigeants est honnête, que beaucoup sont compétents et dévoués, qu’il y a une grande démagogie à prétendre députés et ministres «sourds» et «aveugles», alors même que les députés sont constamment interpellés dans leurs circonscriptions, et que les ministres consacrent beaucoup de temps à résoudre les problèmes quotidiens qui surgissent.
Ce n’est cependant pas ce que ressentent les Français. Il faut dire que des symboles fâcheux se multiplient et qu’ils ne peuvent que compliquer encore les choses. Le retour de l’affaire Cahuzac en est, en quelque sorte, le totem maléfique. Le cynisme de ce si brillant ministre, chargé de traquer la fraude fiscale, jurant solennellement de sa parfaite innocence devant la représentation nationale émue, et les caméras de télévision aux aguets pour finalement reconnaître piteusement une faute inexcusable avait choqué la France entière.
Non seulement, il jetait une suspicion injuste sur tout le gouvernement, mais il ébranlait sérieusement la confiance nécessaire en les institutions. Or, son procès en appel va automatiquement ressusciter défiance, amertume et mépris. Il va scénariser le rejet. Les procédures judiciaires concernant plusieurs membres du premier gouvernement Philippe (assistants parlementaires, conflits d’intérêts…) contribueront à l’aigreur du climat.
Ce n’est pas tout. Les accusations de crimes sexuels, visant Gérald Darmanin et Nicolas Hulot, jettent également le trouble. Elles s’inscrivent dans le sillage de toute une série de mises en cause, la plus terrible, la plus dramatique concernant Dominique Strauss-Kahn qui fut l’espoir des réformistes. Elles se déroulent dans un climat exacerbé de légitimes révoltes des féministes contre les agressions sexuelles. La généralisation des soupçons, même évidemment abusive, ne pourra néanmoins manquer de se produire.
Les Français ne sont pas, par tradition, portés à l’indulgence envers les politiques. La durée et la cruauté des crises économiques et sociales depuis quarante ans ne peuvent qu’entretenir les préventions et fournir un terrain à l’antipolitisme. Le développement irrésistible des réseaux sociaux et de l’information continue accentue sans cesse la tentation du soupçon et du rejet. La classe politique tout entière est, en somme, mise sous surveillance permanente, voire mise en examen par une justice parallèle (les médias) ou populaire (les réseaux sociaux).
On peut multiplier les lois de transparence de la vie politique (loi Hollande, loi Macron), organiser des contrôles de plus en plus stricts, supprimer des privilèges contestables, bref, organiser un réseau d’alertes maximales surveillant le monde politique, présumé quotidiennement coupable, rien n’y fait. Plus l’information se développe, plus les fautes prennent de relief, plus la mécanique implacable de la généralisation, de la mise en cause collective des politiques se répand. Elle est irréversible, elle est aussi dangereuse. Outre qu’elle ruine les fondements même de la démocratie - la confiance et l’espérance - elle décourage inévitablement les vocations politiques des meilleurs.
Moins de pouvoir (fin des cumuls), moins d’argent (fiscalisation et plafonnement des indemnités), moins de considération (une image collective sinistrée), il y aura toujours des candidats aux postes politiques (encore que le recrutement des maires des petites communes se tarisse) mais ils risquent d’être de moins en moins bons. Jadis et naguère, la politique était une filière d’excellence. Elle risque de devenir une voie de garage.