Questions à Janice R. Levi, doctorante en histoire à UCLA (University of California Los Angeles) et spécialiste de l'histoire du judaïsme en Afrique de l'ouest (See English version below).
Qui sont les juifs du Ghana aujourd’hui ?
Les juifs ghanéens constituent aujourd'hui une petite population dans le paysage religieux du Ghana. La plus ancienne communauté juive connue est la Maison d'Israël, située dans la région ouest du Ghana, près de la frontière ivoirienne. Cette communauté est apparue à la fin des années 1970 après que leur fondateur Aaron Ahotre Toakyirafa a reçu une vision divine selon laquelle ses pratiques ancestrales étaient en fait juives. Les Sefwi, son groupe ethnique non indigène au Ghana, étaient tous considérés comme juifs ; cependant, seulement quelques-uns se sont convertis à la foi ancestrale et ont formé la communauté maintenant connue sous le nom de la Maison d'Israël. La plupart des juifs Sefwi font référence, à travers des récits oraux, au passé des communautés juives médiévales qui ont commercé et vécu en Afrique de l'ouest, spécifiquement au Mali. D'autres évoquent un passé plus ancien et parlent de la destruction du second Temple se référant à la tribu perdue d'Israël. Ils croient qu'en raison de migrations, de guerres et des conversions forcées, leurs ancêtres ont perdu la connaissance de leur foi. Cependant, la Maison d'Israël soutient que leurs pratiques sont en fait juives et constituent les vestiges de leur religion ancestrale. En raison de la préservation de ces pratiques, qui s'alignent sur les rites juifs et/ou de l'époque de Moïse (sans doute aussi islamiques), beaucoup refusent de se convertir pour se faire reconnaitre mondialement.
Selon les histoires orales, la Maison d'Israël a émergé après la vision du fondateur, qui a conduit à un effort de prosélytisme pour que les autres Sefwi reviennent à leur religion ancestrale et nient ainsi la portée coloniale du christianisme. Les premières années de l'identité juive de la communauté se sont développées à partir de connaissances issues d'histoires orales et plus tard soutenues par l'organisation à but non lucratif américaine Kulanu qui a joué un rôle influent dans des communautés « émergentes » moins connues pour abriter des juifs. Avec cette interaction, les pratiques normatives, l'éducation hébraïque et juive, ainsi que des éléments de la culture juive ont été incorporés dans la compréhension locale de ce que signifie être juif. Les juifs du Ghana, aujourd'hui, évoluent continuellement vers leur propre compréhension de la judéité, indéniablement impactée par les Juifs de l'extérieur du Ghana et par les moyens technologiques. Cependant, les membres de la Maison d'Israël sont restés fidèles à leur histoire orale et sont réticents à se conformer aux institutions juives hégémoniques qui exigent l'exécution du judaïsme selon leurs termes. Cela a provoqué des tensions dans la région ouest du Ghana entre ceux qui sont motivés par la reconnaissance mondiale et ceux qui veulent « revenir » aux pratiques ancestrales envahies par des influences du monde extérieur.
Peut-on trouver d'autres juifs au Ghana ?
Plus récemment, des Ghanéens intéressés par les principes religieux du judaïsme ont formé une nouvelle congrégation à Accra, la capitale du pays. Pour cette raison, ils ont attiré l'attention du rabbin Alex Armah, qui est parti se former avec l'Abuyudaya de l'Ouganda et a fini par se convertir au judaïsme orthodoxe. Rabbi Armah a communiqué et travaillé avec la communauté d'Accra pour faciliter leur apprentissage de la religion. Cette nouvelle congrégation est unique aux juifs du Ghana puisqu'ils ne revendiquent pas de lignée ancestrale et de lien avec le passé judaïque. Dans l'ensemble, la communauté d'Accra s'intéresse davantage au judaïsme normatif et est ouverte aux processus de conversion.
Que nous disent vos recherches sur la construction historique de cette identité juive ?
La construction historique de l'identité juive au Ghana doit tenir compte de la portée géographique et temporelle exhaustive de l'héritage et de l'histoire du judaïsme en Afrique de l'ouest. Premièrement, la durée de la présence juive en Afrique de l'ouest doit être contextualisée. L'histoire des religions indigènes et des idéologies cosmologiques ainsi que le rôle des deux autres religions abrahamiques (l'islam et le christianisme) a fait principalement l'objet de l'attention des érudits africanistes intéressés par la religion, alors que l'histoire du judaïsme a été oubliée par le discours scientifique. Les histoires traitant du judaïsme se concentrent en grande partie sur l'Afrique du Nord, et isolent souvent son histoire comme quelque chose de distinct du reste de l'Afrique, au sud du Sahara. Les histoires de Juifs qui ont émigré en Afrique après la Seconde Guerre mondiale, s'installant en grande partie dans les pays d'Afrique australe, ont également fait l'objet de nombreuses études.
Cependant, il convient de noter que la plupart de ces histoires sont écrites par des historiens juifs, et les africanistes ne se sont pas encore investis dans l'étude de l'impact du judaïsme que ce soit religieusement, culturellement, socialement et économiquement sur le continent. D'après ce qui a été écrit des juifs médiévaux et du début de l'ère moderne opérant dans et autour du Sahara, sous et au sein de la domination islamique, on peut estimer que les Juifs étaient érudits et résilients. Leur alphabétisation, leurs réseaux et leur sens aigu des affaires ont contribué au succès du commerce saharien, à tel point qu'on peut dire qu'ils ont été ostracisés et persécutés, menant à l'interdiction des juifs dans la région de Tombouctou au début du 16ème siècle. Après des siècles de persécution et de vie minoritaire au sud du Sahara, on pense que beaucoup ont été tués, ont choisi de se convertir à l'islam ou ont fui vers le milieu du 16ème siècle. Les scientifiques peuvent cependant convenir que les sources se taisent en Afrique de l'ouest et que les Juifs n'étaient plus présents dans l'intérieur de l'Afrique de l'ouest (certains suggèrent qu'ils n'ont jamais habité la région mais se livraient simplement au commerce) avec seulement une légère hausse d'activité au 19ème siècle. C'est ainsi que la Maison d'Israël (Ghana) offre une explication qui situe leurs ancêtres au Mali et expliquent leur existence par les récits de guerre et de violence qui les ont fait fuir au sud du Mali. Ainsi, pour débattre de la construction historique de l'identité juive au Ghana, les chercheurs doivent étudier ces histoires orales qui connectent des espaces géographiques où il y avait autrefois une présence juive.
La mémoire du judaïsme est-elle toujours aussi importante ?
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Who are the Ghanaian Jews today?
Ghanaian Jews, today, make up a small demographic in Ghana's religious landscape and their interest in the global religion of Judaism varies. The oldest known community professing Judaism is the House of Israel, located in the western region of Ghana, near the Ivorian border. This community emerged in the late 1970s after their founder Aaron Ahotre Toakyirafa received a divine vision that the practices he was maintaining, that of his ancestors, was in fact Judaism. The Sefwi, his ethnic group not indigenous to Ghana, were believed to all be Jewish; although, only a few converted to the ancestral faith and formed the community now known as the House of Israel. Most of the Sefwi Jews suggest, through oral narratives, a past to medieval Jewish communities who traded and lived in West Africa, specifically Mali. Others have articulated a more ancient past to Israel after the destruction of the second Temple, hinting to a Lost Tribe dialectic. They believe that due to migration, war, and forced conversions their ancestors lost knowledge of their faith. However, the House of Israel maintains that their practices are in fact Jewish, and serve as the remnants of their ancestral religion. Due to the preservation of these practices, which align to Jewish and/or Mosaic rites (arguably Islamic too), many refuse to undergo conversion for the purpose of global recognition. According to oral histories, the House of Israel emerged after the founder's vision, which led to a proselytizing effort to have fellow Sefwi return to the ancestral religion and therein deny the colonial import of Christianity. The early years of the community's Jewish identity developed based on knowledge generated through oral histories and later supported by the non-profit and US based organization Kulanu who has played an influential role in "emerging" communities less known to house Jews. With this interaction, normative practices, Hebrew and Jewish education, as well as items of Judaica were incorporated in local understandings of what it means to be Jewish. The Jews of Ghana, today, are continually moving towards their own understanding of Jewishness, undeniably impacted by Jews from outside of Ghana and through technological mediums. However, members of the House of Israel have remained loyal to their oral history and are resistant in complying with hegemonic Jewish institutions that require performance of Judaism on their terms. This has resulted in tensions in the western region of Ghana between those who are motivated by global recognition versus those who want to "return" to ancestral practices.
Are there any other Jewish communities in Ghana?
What does your research tell us about the historical construction of their Jewish identity?
The historical construction of Jewish identity in Ghana must be considerate of the expansive geographical and temporal scope of the legacy and history of Judaism in West Africa. First, the longue durèe of Jewish presence in West Africa needs to be contextualized. The history of indigenous religions and cosmological ideologies as well as the role of the two other Abrahamic faiths (Islam and Christianity) has received the majority of attention from Africanist scholars interested in religion, whereas the history of Judaism has proven to be a scholarly oversight. Histories addressing Judaism largely focus on North Africa, and often sequester its history as something separate from the rest of Africa, south of the Sahara. Histories of Jews who migrated to Africa after World War II, largely settling in southern African countries, has also received a fair share of attention. However it should be noted that most of these histories are penned by Jewish historians, and Africanists have yet to take the charge in studying the impact of Judaism: religiously, culturally, socially, and economically within the continent. From what has been written of medieval and early modern Jews operating along and within the Sahara, under and within Islamic rule, it can be assessed that Jews were learned and resilient. Their literacy, networks, and business acumen brought about success in the Saharan trade, so much so that it is arguably why they were ostracized and persecuted, leading to a ban on Jews in the Timbuktu region at the beginning of the 16th century. After centuries of being persecuted and living as a minority on the southern fringes of the Sahara, it is believed many were killed, opted to convert to Islam, or fled by the mid 16th century. Scholars can agree however, that the record goes silent at this time in West Africa and Jews simply were no longer present in the interior of West Africa (some suggesting they never inhabited the area but only had business there) with only a short-lived uptick of activity in the 19th century. That is, until now—with the House of Israel (Ghana) offering an explanation that situates their ancestors in Mali and accompanied by narratives of war and violence that caused them to flee further south from Mali. Thus, when discussing historical construction of Jewish identity in Ghana, research must engage with these oral histories that connect to geographical spaces where there was once a presence of Jews.
Is the memory of Judaism still an important phenomenon in Ghana?
Memory is an integral part to this project, as it is memory of a past that strengthens the claim the Ghanaian Jews of the House of Israel assert. For this community, memory operates in three spheres: communal memory via oral history, physical sites, and quotidian practices/ritual. Like many communities in Africa, the Sefwi, who make up the House of Israel, kept their history orally. There are historians (trained to preserve history) just as there are in the West, skilled in recalling and orating the past with their voice rather than with a pen. Through this methodology, recounting past leaders of the Sefwi, historical events, and migration is possible. Secondly, lieux des mémoires (or sites of memory) via landscape and architecture trigger oral histories. For instance, a house for sequestering menstruating women recalls the hygiene practice being performed before the admission of Judaism. Lastly, daily habits serve as a mnemonic to a time before colonial and missionary interruption. In fact, it was performative memory—the maintenance of ancestral rituals by the House of Israel's founder that led to the vision identifying his practice as Judaism. Today, maintaining ancestral rites from the past in addition to the practices taught by international Jewish visitors remain.