Celles et ceux qui n'en peuvent plus d'attendre la nouvelle (et dernière, hélas) saison de The Americans se consoleront en allant voir The Post (Pentagon Papers, titre français, de Steven Spielberg, 2017) où dès les premiers plans on retrouve Matthew Rhys - acteur principal avec Keri Russell de la série culte - dans le rôle de Daniel Ellsberg, un analyste militaire qui se rend au Vietnam, au front, avec le secrétaire à la Défense, Robert McNamara en 1965, et de retour à la Rand Corporation quelques années après, décide de photocopier secrètement les milliers de pages qui deviendront les Pentagon Papers du titre français - rapports ultracompromettants révélant les mensonges des différentes administrations américaines sur les chances de victoire des Etats-Unis au Vietnam. Au-delà de l'histoire du scoop du New York Times, repris suite à l'interdiction de ce dernier par le Washington Post, le film raconte le journalisme à l'ancienne, c'est-à-dire le vrai pas le fake (de la circulation de copié-collé). Steven Spielberg tient à nous montrer des journalistes, Ben Bradlee (Tom Hanks) et Ben Bagdikian (Bob Odenkirk, extraordinaire) qui vont sur le terrain, cherchent et rusent, font les articles, de l'enquête à l'écriture et à la typographie, la fabrication, la distribution. La matérialité de la production de l'information résume le réalisme du film, qui accumule les détails (le siège à réserver en avion pour poser le précieux paquet de documents, le métal noir de la machine appelée presse…) non pour créer de la nostalgie cheap à la Stranger Things, mais pour contrer, là et maintenant, une présidence en guerre avec la presse.
Pour une fois totalement dans l'actualité, mais loin du discours convenu sur le danger des «fake news» ou «alternative facts» - repris par Donald Trump lui-même qui n'hésite pas à qualifier la vérité de «fake» quand elle lui déplaît-, Steven Spielberg parvient à démonter le déni politique du vrai, en décrivant le processus réel de l'information. David Simon avait ainsi consacré, il y a dix ans, la saison conclusive de The Wire aux évolutions du journalisme d'investigation, confrontant les news bidon à l'enquête sérieuse, sociale en l'occurrence. Pentagon Papers, qui se clôt sur l'image et la voix enregistrée d'un président haineux terré dans son bureau de la Maison Blanche, est un merveilleux prequel - et pas seulement de Watergate.
Le film, qui réunit pour la première fois (eh ! oui) les géants du cinéma Meryl Streep et Tom Hanks, est aussi le récit haletant de l'empowerment de Kay Graham, riche héritière propriétaire du journal, d'abord apeurée et muette et finalement trouvant sa voix, au sens fort, lors d'une conversation téléphonique dantesque où elle résiste aux pressions d'une armée d'hommes. Vérité et féminisme sont bien les forces narratives du film, et Spielberg y décrit aussi précisément la réalité de la domination - réunions 100 % cravatées, femmes à la porte des discussions sérieuses - et le courage de Graham, saluée par la haie d'honneur des jeunes femmes à sa sortie du tribunal, bourgeoise blanche devenue une icône du féminisme.
Au moment où notre critique cinématographique louait justement Pentagon Papers, elle passait à côté de la sortie de Black Panther - une révolution féministe, même si l'intrigue en est fondée sur la lutte de deux hommes. Black Panther est le premier film de super-héros destiné à un large public (trop mignon de voir au cinéma des petits gosses blancs s'enthousiasmer à l'idée d'être Black Panther !) dont tous les principaux personnages sont des Noirs africains ; dont plusieurs femmes, «strongblackwomen (1)» magnifiques et très différentes - Nakia, la militante des droits humains, Shuri, la super-techno style Q, Okoye, la générale en chef - et totalement à l'aise avec leur pouvoir. Wonder Woman avait franchi une étape avec un premier film entièrement fondé sur une super-héroïne qui en remontrait aux hommes, mais Diana restait exceptionnelle, seule en son genre même ensuite dans Justice League. Black Panther va plus loin en présentant à l'écran cette pluralité de femmes (chacune liée au roi T'Challa mais jamais définie par ce lien) ; et en se payant le luxe de reprendre le thème hollywoodien du remariage.
«Toutes les femmes sont blanches, tous les Noirs sont hommes, mais nous sommes quelques-unes à être courageuses…» fut le premier slogan du féminisme black que ce film porte sans complexe, en nous présentant l'utopie d'une société mixte égalitaire. Snober Black Panther parce que c'est un Marvel, donc simpliste, et que c'est un succès populaire, c'est passer à côté - non pas de l'événement blockbuster (Libération du 27 février), mais de l'événement culturel que cela constitue, pour les Noirs qui y vont en masse même s'ils n'adhèrent pas à tout; pour les autres qui ont la chance de s'attacher à ces personnages magnifiques tout en s'éduquant sur l'exploitation minière en Afrique ou l'histoire de l'esclavage.
Le casting de Black Panther n'y est pas pour rien, grâce au talent de Chadwick Boseman, de Lupita Nyong'o, de Daniel Kaluuya, de Letitia Wright et d'autres plus connus. On est ému d'y retrouver Danai Gurira, mythique Michonne de The Walking Dead, Michael B. Jordan, jeune Wallace de The Wire, Sterling K. Brown, le procureur de The People vs O. J. Simpson starisé cette année dans This Is Us… Comme s'il s'agissait aussi d'aligner fièrement tous ceux et toutes celles qui ont permis aux séries télé de préparer la révolution du cinéma.
(1) Le concept est en un seul mot.
Cette chronique est assurée en alternance par Sandra Laugier, Michaël Fœssel, Sabine Prokhoris et Frédéric Worms.