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Chronique «Politiques»

Les métamorphoses de Marine Le Pen

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Le «Rassemblement national» aura-t-il plus de facilités que le FN pour des alliances avec une partie de la droite ?
publié le 14 mars 2018 à 17h26
(mis à jour le 14 mars 2018 à 17h53)

Marine Le Pen a donc décidé de changer le nom de son parti : si les adhérents ratifient son choix, et si aucun obstacle juridique ne s’y oppose, le Front national (FN) s’appellera désormais le «Rassemblement national». C’est un aveu de faiblesse. Les partis politiques ne changent de nom que lorsqu’ils sont en crise. L’antique SFIO, le parti de Jean Jaurès et de Léon Blum, ne s’est résolu à s’appeler Parti socialiste (PS) que parce que son électorat s’effondrait et que ses militants le fuyaient. L’UMP a voulu s’intituler dorénavant Les Républicains (LR) après avoir perdu l’élection présidentielle et s’être déchiré en public au-delà du supportable. Jean-Luc Mélenchon a voulu que son mouvement devienne La France insoumise parce que le Parti de gauche était vraiment trop étroit, et que le Front de gauche laissait trop de place au Parti communiste (PCF). Changer de nom n’est donc pas une refondation mais un ravalement. Depuis le pathétique débat présidentiel de l’entre-deux-tours, la déception, le flottement, le doute se sont installés au FN. Il devenait urgent d’y remédier. D’où le recours au plus vieux des remèdes de crise. Voilà le FN devenu ou plutôt redevenu le Rassemblement national, comme à l’époque de Jean-Louis Tixier-Vignancour - l’avocat de l’OAS - ou de Marcel Déat - le collaborationniste -, des références plus qu’entachées. Il ne suffit pas de changer de nom. Encore faut-il en trouver un bon.

Derrière cette métamorphose tout en surface, le long discours de Marine Le Pen, au congrès de Lille, a cependant esquissé d'autres inflexions. La première concerne la ligne idéologique. Sur ce point, il y a bel et bien une rectification. Le thème dominant de cette intervention mène tout droit à un retour aux sources. Durant plus d'une heure, la présidente de l'encore FN s'est obsessionnellement attaquée à l'immigration et à l'insécurité, opposant sans cesse les «nomades» aux «sédentaires», les mondialistes, forcément favorables à l'immigration et à la déconstruction nationale, aux nationaux refoulant le monde extérieur. Le slogan le plus applaudi fut comme jadis «Nous sommes chez nous» signifiant que les autres n'y sont pas les bienvenus. Immigration en majeur, social en mineur. C'est la revanche posthume de Jean-Marie Le Pen sur Florian Philippot, du vieux fond nationaliste sur le nouveau cours du souverainisme social. On efface toute référence à Chevènement ou à Seguin pour retrouver Déroulède.

La troisième métamorphose concerne la stratégie. Marine Le Pen a lancé plusieurs signes d'aspiration à des alliances. C'est sans doute pour la suite le plus important. La présidente du FN a compris que son mouvement ne pouvait pas l'emporter seul. Il lui faut impérativement des partenaires. C'est une vieille histoire qui revient ainsi au premier plan. Le FN a tenté depuis longtemps de trouver des accords ponctuels avec la droite classique. En 1998, il a accepté de faire élire quatre présidents de conseils régionaux UDF (Rhône-Alpes, Picardie, Languedoc-Roussillon, Bourgogne). C'était il y a vingt ans. Charles Pasqua, incarnation de la variante populiste du gaullisme, a rencontré Jean-Marie Le Pen et il a découvert qu'il existait des «valeurs communes» entre gaullisme et FN.

Aujourd’hui, Marine Le Pen discute et négocie avec Nicolas Dupont-Aignan. Le président de Debout la France l’a déjà officiellement soutenue au second tour de l’élection présidentielle. Son poids augmente (relativement) depuis que le FN doute et s’inquiète. Des lignes sont lancées en direction de quelques sarkozystes marginaux, comme Thierry Mariani. Plus important, Marine Le Pen sait qu’une partie de l’électorat de LR, jusqu’à la moitié selon certains sondages, ne serait pas hostile à des accords électoraux avec le FN.

Certes, Laurent Wauquiez, comme jadis Nicolas Sarkozy, ne veut entendre parler ni de négociation avec le FN ni d'accord électoral. Son objectif proclamé est au contraire de parvenir à «siphonner» une partie de l'électorat d'extrême droite, comme l'avait précisément réussi Sarkozy en 2007. Laurent Wauquiez s'intéresse aux électeurs du FN, et Marine Le Pen symétriquement aux électeurs de LR. Il existe cependant une différence de taille entre ces deux stratégies, c'est que la droite a toujours pu gagner aux élections nationales sans accord avec l'extrême droite, alors que le FN n'y est jamais parvenu. La droite peut se passer du FN beaucoup plus facilement que le FN ne peut se passer de la droite. Il existe cependant un facteur nouveau. Partout en Europe, le mouvement populiste - c'est-à-dire démagogique, souverainiste et manipulateur - progresse en France comme ailleurs. Mais pour avoir une chance de parvenir au pouvoir, il lui faut impérativement s'allier avec la droite classique, comme on le voit en Italie, en Pologne, en Hongrie ou ailleurs. Tout pousse donc Marine Le Pen à entamer une longue marche vers des alliances à droite mais rien ne lui garantit d'y trouver des partenaires.