La médiatrice de l'Union européenne, l'Irlandaise Emily O'Reilly, vient de tacler sévèrement Jean-Claude Juncker pour sa trop grande mansuétude à l'égard des activités de lobbying de son prédécesseur, José Manuel Durao Barroso, passé en juillet 2016 avec armes et bagages chez Goldman Sachs, la sulfureuse banque d'affaires américaine. Un avis qui tombe mal en plein « SelmayrGate », la nomination controversée de son chef de cabinet au poste de secrétaire général de la Commission, car il souligne l'élasticité de la morale de l'ancien premier ministre luxembourgeois en matière de conflits d'intérêts.
«Amicale et personnelle»
Dans un avis publié le 15 mars, la médiatrice,
qui tient son mandat du Parlement européen, estime que le comité d’éthique de
la Commission, qui avait critiqué, mais absous Barroso en octobre 2016, devra
réexaminer son cas, celui-ci se livrant, en dépit de ses promesses, à des
activités de lobbying auprès de l’institution qu’il a présidé entre 2004 et
2014.En effet, il a été pris la main dans le sac par le collectif d’ONG Alter-UE qui a révélé le mois dernier qu’en octobre 2017, il avait rencontré en
tête-à-tête un vice-président de la Commission, le Finlandais Jyrki Katainen,
dans un hôtel proche du Berlaymont, le siège de l’exécutif européen à
Bruxelles. La réunion a été déclarée sur l’agenda du commissaire comme une
réunion « avec la banque Goldman Sachs ».
Interrogé par le Parlement européen, le
commissaire a déclaré qu’il s’agissait d’une rencontre « amicale et
personnelle » autour d’une bière. Pourtant, le même commissaire a reconnu
qu’ils n’avaient pas discuté barbecue, mais défense et commerce... Or, Barroso
représente des clients d’une banque d’affaires qui peuvent s’intéresser aux
projets de la Commission dans ces deux domaines. Ces rencontres informelles
sont la définition même du mot lobby, comme le souligne Emily O’Reilly. Ce
n’est pas l’avis de Barroso qui, sur Twitter, a vivement réagi : « je
n’ai pas fait et ne ferai pas de lobbying auprès d’officiels de l’UE ».
Réexamen du cas Barroso
Interrogé le 21 février, Juncker, qui avait condamné du bout des lèvres et seulement au bout de deux semaines son prédécesseur au prétexte qu’il n’avait violé aucune règle interne, a balayé
d’un revers de main agacé les questions des journalistes : « ce n’est
rien », avant d’ajouter « ce n’est quand même pas un gangster ».
Emily O’Reilly répond indirectement à cet agacement présidentiel dans son avis :
« la nouvelle fonction de M. Barroso a provoqué de sérieuses inquiétudes
dans l’opinion publique, ce qui aurait dû à tout le moins susciter des
inquiétudes au sein de la Commission quant au respect du devoir de
discrétion ».
Pour la médiatrice, un réexamen du cas Barroso
« démontrerait que la Commission a pris très au sérieux les préoccupations
de l’opinion publique concernant cette affaire et les dommages causés à l’image
des institutions européennes ». Pour elle, « les anciens commissaires ont
le droit d’exercer une activité, mais, en tant qu’anciens fonctionnaires, ils
doivent également veiller à ce que leurs actions ne sapent pas la confiance des
citoyens dans l’Union ». La médiatrice demande donc a minima une décision
formelle de la Commission afin qu’elle interdise à son ancien président de
faire du lobbying auprès d’elle. Elle
estime aussi que le « code de conduite » des commissaires doit être
renforcé, car son enquête a révélé « des problèmes systémiques concernant
la manière dont la Commission traite ce genre d’affaires », comme le
démontre l’attitude de Juncker. Certes le code d’éthique a été renforcé afin
d’étendre de 18 à 36 mois la durée pendant laquelle les anciens présidents
devront demander l’avis du comité d’éthique sur leur nouveau travail (deux ans
pour les commissaires). Mais, cette réforme, entrée en vigueur le 1er
février, « n’empêcherait pas qu’une situation semblable à celle que nous
connaissons avec M. Barroso se reproduise à l’avenir ». Elle propose aussi
que le comité d’éthique soit élargi au-delà de ses trois membres actuels, qu’il
puisse s’autosaisir et que la période d’observation des anciens commissaires
soit prolongée de plusieurs années.
Un clou dans le cercueil de la Commission Juncker
Rappelons que le cas Barroso n’est pas le
premier à éclabousser la Commission Juncker :l’ancienne commissaire à la concurrence, la Néerlandaise Neelie Kroes, a été elle aussi absoute alors
qu’elle a été prise en flagrant délit de mensonge quand le scandale des
« Bahamas Leaks » a éclaté fin septembre 2016. Tout comme l’actuel commissaire allemand Gunther Oettinger, celui-là même qui est chargé de défendre la
légalité de la nomination de Selmayr, qui a voyagé – sans le déclarer- en mai
2016 à bord de l’avion privé d’un lobbyiste allemand proche de Vladimir Poutine
et de Viktor Orban pour se rendre à Budapest. Or, à la suite de ce voyage, la
Commission décidait de classer une enquête sur la construction d’une centrale
nucléaire par les Russes en Hongrie (lire aussi ici)… On pourrait aussi rappeler le pedigree du
commissaire espagnol Miguel Arias Canete qui a mélangé tout au long de sa vie
intérêts privés et publics et s’est pourtant vu confier par Juncker le
portefeuille de l’énergie alors que sa famille a des intérêts dans ce secteur…
Bref, l’avis de la médiatrice est un clou
supplémentaire planté dans le cercueil de la Commission Juncker…
Photo: REUTERS/Vincent Kessler