«J'ai été un bon petit soldat de Mai. Je venais d'une famille populaire, catholique et militante - mes parents avaient fait les Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC). J'ai tout fait : les scouts, la pastorale, j'étais en prépa Saint-Cyr quand Mai 1968 a éclaté et je me suis radicalisé en trois semaines ! J'ai occupé le lycée Thiers de Marseille, j'ai distribué la Cause du peuple.J'étais un buvard, j'ai absorbé. J'ai lu Marx, Engels - croyez-moi, peu de gauchistes ont lu le Capital en entier ! Après les événements, je n'ai pas eu Saint-Cyr bien sûr, ils ne voulaient pas de "bolcheviks". Je suis rentré dans le groupe Révolution, des maoïstes "spontanéistes" qui me semblaient proches de l'idéologie chrétienne. Début 70, le mot d'ordre de l'organisation c'était : "Il faut faire le tournant ouvrier !"J'ai accepté de "m'établir" en usine. J'en étais sûr, mon avenir, c'était d'être un révolutionnaire. J'ai passé un CAP de tuyauteur et réussi à me faire engager dans la réparation navale, à la Spat. Un bastion ouvrier. Une fois en CDI, j'ai déclenché des mouvements venus de la base et je me suis fait repérer. En face, contrairement à ce qu'on croit, on n'a pas seulement le patron. On a le Parti communiste, la CGT. Et c'était pas des tendres. J'étais présenté comme un fils à papa, un allié objectif du patronat. Il a fallu tenir le choc. Le travail était dur, la nuit, on préparait des tracts. Surtout, entre la classe ouvrière rêvée et celle que j'ai découverte sur le terrain. Les ouvriers n'avaient pas une si mauvaise paie et beaucoup aspiraient à vivre comme des bourgeois. La boîte a fermé en 78. Puis Révolution s'est déchiré sur la question des femmes et des homos. Et la gauche est arrivée au pouvoir. Je suis entré à la Poste comme informaticien. Je me suis engagé à la CFDT puis, quand nous avons té dissous par le siège, j'ai été l'un des fondateurs de SUD à Marseille : on se réunissait chez nous, la nuit, pour faire des tracts, ça me rappelait Révo ! J'anime aujourd'hui le groupe des retraités de SUD. On est des panthères grises, et, avec Macron, on a fort à faire.»
Témoignage
«En mai, j’étais un buvard, j’ai absorbé»
Christian Garnier, le 21 mars, à Marseille. (Photo Olivier Monge. Myop)
par Sonya Faure
publié le 21 mars 2018 à 18h46
(mis à jour le 21 mars 2018 à 19h13)
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