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Libération
Témoignage

«Une extraordinaire force collective»

Ségolène Aymé, 22 ans en 1968, étudiante, féministe. Paris.
Ségolène Aymé devant l'ICM (Pitié-Salpêtrière), le 20 mars, à Paris. (Photo Cyril Zannettacci pour Libération)
publié le 21 mars 2018 à 18h46
(mis à jour le 21 mars 2018 à 19h32)

«Mai 68 m’a fait changer de monde. J’avais engagé des études de médecine à Paris contre la volonté de ma famille, de la grande bourgeoisie très friquée. J’avais déjà compris que je ne devrai dépendre d’aucun homme - j’avais trop vu la dépendance de ma mère, mais je n’étais pas politisée. Le 13 mai, un ami me parle d’une grande manif. Place de la République, je me range sous la première bannière venue : les usines aéronautiques de Toulouse. Je me souviens de cette impression extraordinaire de force collective. De retour à Jussieu, avec d’autres étudiants, j’ai empêché le gardien de fermer les portes. J’ai choisi une salle de physique pour y passer la nuit. L’occupation a duré deux mois et demi. Nous avons réfléchi à la place des chercheurs dans la société. A l’Odéon, j’ai découvert le pouvoir de la parole. A la fin du mouvement, j’ai rejoint Survivre et Vivre, un mouvement écologique créé par des mathématiciens. J’étais la seule femme. Puis je suis partie dans le Sud et j’ai fondé une antenne du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac) à Aix. Je faisais quatre avortements par semaine, à domicile, jusqu’à la loi Veil. Le stress, le risque juridique ont eu raison de mon couple. J’ai longtemps vécu en communauté et même en "commune" : on y partageait tout, nos salaires, nos enfants et nos petites culottes… même les couples étaient bannis, il fallait "partager" ça aussi. La loi Veil votée, nous avons transformé nos locaux en permanence de SOS femmes battues. Mon militantisme a toujours guidé mes activités professionnelles. Médecin généticienne, j’ai développé des politiques contre les maladies orphelines. J’ai adhéré à la CFDT… et avec moins d’engouement au PS. En 2017, j’ai financé Macron. Comme lui, je pense qu’il faut partir du terrain et fédérer les gens. Je me suis souvent demandé ce que je serais devenue sans 68. On ne peut parvenir seule à un tel changement de soi. Il faut avoir eu, un jour, le ressenti de la foule, l’expérience de sa capacité à changer la société.»