On nous dit aujourd’hui que le sida ne tue plus. C’est vrai. Si vous découvrez aujourd’hui votre séropositivité, si vous êtes mis sous traitement rapidement, si vous le prenez régulièrement et que vous n’avez pas d’autres soucis de santé, le virus ne vous tuera pas.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tellement mieux que l’on se demande pourquoi les associations, partout dans le monde, continuent à faire de la prévention et à accompagner sans relâche des millions de personnes vivant avec le VIH. Et pourquoi, vingt-quatre ans après le premier Sidaction, sommes-nous toujours là ?
Nous sommes là pour ne pas détourner le regard, comme l’a rappelé Rémy Hamai, président d’Act Up, à la dernière cérémonie des césars. Ne pas détourner le regard tant que des personnes séronégatives ou vivant avec le VIH subiront des lois, des attitudes, des paroles qui les rejettent, les mettent en danger ou les excluent des soins, en France ou à l’étranger.
Ne pas banaliser le VIH
Aujourd’hui, en 2018, nous sommes également là pour affronter les vents contraires qui entravent notre combat. Des vents contraires qui banalisent la question du VIH, qui ne donnent pas assez d’espace aux jeunes pour parler sexualités, prévention et lutte contre les discriminations, alors que persistent les idées fausses sur les modes de transmission du virus et que demeurent insuffisantes leurs connaissances sur les moyens de se protéger (1). On assiste bel et bien à une baisse de la vigilance.
Et pourtant, en France, 6 000 personnes découvrent encore chaque année leur séropositivité, et, parmi elles, un quart est déjà à un stade avancé de la maladie (2). Parce qu'ils ne se sentaient pas concernés. Ou parce qu'ils n'ont pas pu aller suffisamment tôt vers le dépistage ou les soins, parce que rejetés, exclus, discriminés. Exclus ou discriminés comme le sont aujourd'hui les personnes migrantes, les personnes transgenres ou les hommes gays, bien trop touchés par ce qu'est l'épidémie de VIH au XXIe siècle.
Nous luttons aussi contre les vents contraires provoqués par de mauvais choix politiques, qui, au lieu de protéger les personnes vivant avec le VIH ou celles qui y sont le plus exposées, les éloignent chaque jour un peu plus de la prévention, du dépistage et des soins: suppression des aides aux transports en Ile-de-France pour les personnes bénéficiant de l’aide médicale d’Etat, suppression des contrats aidés pour les associations, loi ou arrêtés municipaux délétères pour la santé et la sécurité des travailleuses du sexe, durcissement des procédures sur l’immigration pour les étrangers malades menacés d’expulsion dans des pays où l’accès aux antirétroviraux est incertain.
Ce sont d’ailleurs ces pays qui subissent de plein fouet l’épidémie. A titre d’exemple, l’Afrique subsaharienne comprend à elle seule 80% des 2 millions d’adolescents vivant avec le VIH dans le monde, et on estime que 260 000 infections ont eu lieu en 2016 parmi les 15-19 ans, dont deux sur trois concernaient des jeunes filles (3). Le manque de prévention, le faible accès au dépistage, l’accès limité au traitement, les déterminants sociaux et les inégalités de genre font partie des facteurs aggravants. Pendant ce temps, les vents contraires nous mènent vers la baisse des aides internationales de la France, telle que la contribution à Unitaid (4). Alors qu’il nous manque déjà 7 milliards de dollars par an au niveau mondial pour atteindre les objectifs de l’Onusida fixés pour 2030 et espérer voir un jour un monde sans sida.
Le VIH aujourd’hui, une vie presque comme les autres
En réalité, ces vents contraires laissent encore 1 million de personnes mourir du sida chaque année dans le monde. Parce que si l’on peut dire aujourd’hui qu’on ne meurt plus du sida, c’est bien grâce aux traitements qui nous maintiennent en vie. Encore faut-il y avoir accès.
Pour ceux d’entre nous qui ont cette chance et comptent parfois dans leur vie vingt ans, trente ans et plus, de traitements quotidiens, il faut compter maintenant avec les effets sur le long terme du virus et des médicaments sur notre corps. Avec l’avancée en âge, le VIH nous rappelle ce qui fait sa spécificité et provoque, directement ou indirectement, par sa simple présence, de nombreuses autres pathologies : risques cardiovasculaires, cancers, troubles neurologiques et métaboliques, insuffisance rénale… Autant d’éléments qui s’ajoutent à la course contre la montre pour tenter d’identifier au plus vite un traitement qui nous permettra d’entrer en rémission ou d’éradiquer un jour le virus. Un espoir pour plus de 36 millions de personnes dans le monde.
Pour ceux et celles plus récemment contaminés par le VIH et ayant rapidement accès aux antirétroviraux, les effets sont heureusement moindres et il leur est possible de mener une vie «presque comme les autres» comme le souligne le titre du livre de Lucie Hovhannessian, qui nous raconte son expérience de jeune femme récemment contaminée par le VIH. Et qui nous rappelle aussi, car il faut bien le marteler encore et encore, qu'une personne sous traitement efficace ne peut pas transmettre le virus. Même sans préservatif.
Et c’est lorsque nous disons cela, haut et fort, confortés par de nombreuses études scientifiques, que souffle encore plus violemment le vent de la discrimination et du rejet. Parce que pour de trop nombreuses personnes aujourd’hui, l’idée même d’avoir une relation sexuelle avec un homme ou une femme vivant avec le VIH génère encore des peurs irraisonnées. De celles qui provoquent des commentaires de haine, allant jusqu’à nous traiter au mieux d’inconscients, au pire de criminels.
Alors, contre tous ces vents contraires, notre raison d’être, en 2018, est bien de continuer à lutter ensemble, et de faire en sorte qu’aucun d’entre nous, personnes vivant avec le VIH, chercheurs, associations, médecins, médias et donateurs, n’abandonne ce combat contre le virus du sida. Parce que chaque abandon représente un danger et nous renverra brutalement à des heures plus sombres.
(1) Voir le sondage Ifop 2018 sur le site Sidaction.org : «Les jeunes, l'information et la prévention du sida»: 20% des jeunes interrogés estiment être mal informés sur le VIH/sida.
(3) Unicef
(4) Unitaid est une organisation internationale qui investit pour trouver des moyens de prévenir, diagnostiquer et traiter le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme plus rapidement, plus efficacement et à moindre coût. La France a effectué des coupes dans sa contribution à Unitaid de 15 millions d'euros en 2017 par rapport à 2016 et de 30 millions d'euros par rapport à sa contribution initiale.