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Libération
Chronique «écritures»

Tous des oiseaux

publié le 30 mars 2018 à 18h56

La «nouvelle» est tombée il y a deux semaines, Nicolas Hulot l’a annoncée solennellement à l’Assemblée nationale : en quinze ans, plus d’un tiers des oiseaux a disparu de nos campagnes. En réalité, toute la communauté scientifique travaillant sur la biodiversité sait depuis longtemps qu’une catastrophe écologique est en cours, voire une «sixième extinction», pour reprendre le titre d’Elizabeth Kolbert, prix Pulitzer 2015. Mais sur l’air bien connu de l’information, «j’y pense et puis j’oublie», le déni reprend vite le dessus. Il y a même l’habituel lot de complotistes qui, voyant midi à leur porte et la fauvette sur leur barrière, inondent les réseaux sociaux de vidéos de leur jardin gazouillant, #fakenews, #questcequonnouschantelà ? Il leur suffit d’une hirondelle pour faire leur printemps.

Cela dit, nous ne sommes pas toujours clairs avec les oiseaux. Comme on ne prête à leur chant aucune signification sinon celle d’annoncer d’un arbre à l’autre, d’une ferme ou d’une haie à l’autre, «je suis là», le langage courant les associe souvent à la bêtise. La dinde, le pigeon, le serin, la linotte ou la buse ne brillent pas par leur esprit et, sans la chouette, emblème de la sagesse de la déesse Athéna, certains hommes n’auraient pour leurs piaillements, caquetages et autres pépiements pas plus de considération qu’ils n’en ont pour… la conversation des femmes. Leur emblème à eux n’en reste pas moins le coq, qui s’époumone d’un cocorico dès que le soleil paraît ou que leur équipe a marqué un but. Ce ne sont pas des aigles.

Quelquefois aussi, les oiseaux nous font peur. Leurs becs acérés, leurs yeux perçants et leur capacité à faire nombre sont effrayants, et Hitchcock n’a eu aucun mal à les montrer en personnages maléfiques d’un film terrifiant. Est-ce à dire que nous n’aimons pas tant les oiseaux ? Les pigeons sont les rats de l’air, les pies sont voleuses, les corbeaux nous cassent les oreilles, sans parler des vautours. Quand nous voulons insulter quelqu’un, nous le traitons de «tous les noms d’oiseaux». Pourtant, quoi de plus joli que l’alouette des champs, la bergeronnette printanière, le bruant jaune, la grive musicienne, l’étourneau sansonnet, le verdier d’Europe, le faucon crécelle, la perdrix grise, la linotte mélodieuse… ? Toutes ces variétés ont perdu jusqu’à 60 % de leur population. En Europe, 420 millions d’oiseaux manquent à l’appel. Le plus souvent, ils sont morts de faim à cause de l’agriculture extensive et des pesticides - mais quand on interroge un paysan là-dessus, il répond que sinon, ce sont les paysans qui meurent de faim. Il faudrait chercher comment les sauver ensemble. En ville, maintenant, les oiseaux chantent même la nuit, trompés par la lumière fallacieuse des réverbères, ils chantent aussi de plus en plus fort pour couvrir le bruit de la circulation, faute de quoi ils ne s’entendent littéralement plus et ne retrouvent pas leurs petits, bref, ils s’adaptent, preuve qu’ils n’ont pas tous des cervelles de piafs.

Aux députés, le ministre de l'Ecologie a rappelé que «l'humanité a une communauté d'origine et une communauté de destin avec le vivant». Cette évidence touchante, des Bulgares l'ont récemment mise en acte en accueillant dans leur modeste salon ou en réchauffant dans leur lit des cigognes gelées d'avoir migré trop tôt, déboussolées par les changements climatiques. On pense aux migrants africains que la neige surprend dans les Alpes, au passage de la frontière italienne, et qui, recueillis par des bénévoles, doivent parfois être amputés des orteils ou des pieds. Oiseaux, humains, même combat : nous voulons tous être libres, voler dans les cieux de notre choix et chanter plutôt que pleurer.

Selon Victor Hugo, notre désir d'envol est plus fort que notre fragilité : «Soyez comme l'oiseau, posé pour un instant Sur des rameaux trop frêles, Qui sent ployer la branche, et qui chante pourtant, Sachant qu'il a des ailes.» Et puis c'est beau, toutes ces langues qui se répondent : la mésange qui zinzibule, la tourterelle qui caracoule, le rossignol qui gringotte… Nous sommes tous des oiseaux rares, des espèces à protéger. Quand le silence criera à nos oreilles «je ne suis plus là», quand en fait d'oiseaux nous aurons pour tout plumage celui de Twitter, bleu délavé, et pour tout ramage son pépiement monocorde, alors nous n'y serons plus pour longtemps nous-mêmes. Sans chant, sans ailes, nous serons cuits. Les oiseaux sont nos augures. Ecoutons-les, donnons-nous des ailes.

Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Sylvain Prudhomme et Tania de Montaigne.