Nous vivons une situation ambiguë, une époque de transition indécise : d’une part, un bouillonnement d’initiatives de citoyens engagés dans des actions de solidarité et de protection de l’environnement, d’entrepreneurs (associatifs ou commerciaux, coopératifs, mutualistes, artisanaux) conjuguant des finalités économiques et sociales, et d’autre part, un malaise persistant, des effets trop modestes de ces initiatives ; elles semblent marginales, peu influentes sur l’économie globale et les réformes en cours ; elles ne parviennent pas à assurer la voie d’une société plus juste, d’une vie meilleure, à rétablir confiance dans notre cadre de vie et nos institutions.
C’est ainsi qu’émergent sur tous les territoires des éoliennes, des fours solaires, des petites centrales à faible empreinte écologique et que s’élargit, notamment sous l’impulsion d’Enercoop, le champ des consommateurs d’énergie verte, mais que ce champ reste étroit et que nous peinons à respecter les critères pourtant minimalistes de l’accord de Paris sur le climat.
Ainsi se développent également, animées par des réseaux tels que les «jardins de cocagne» ou les Amap, les expériences d’agriculture «maîtrisée», de production bio, la modification des pratiques alimentaires, le resserrement par des circuits courts des rapports entre citadins et agriculteurs ; mais cette évolution, si significative soit-elle, ne change pas profondément la situation de ceux-ci ; une grande part d’entre eux ne vivent pas décemment, et le taux de production bio reste très faible.
D’autres initiatives de plus en plus nombreuses tendent à insérer les chômeurs par l’activité économique, mais n’offrent que des emplois précaires, en qualité et en nombre insuffisants.
Quant aux associations, aux comités de quartiers qui, dans les villes, combattent la ségrégation et le mal-être sur tous les fronts, ceux de l’habitat, de la santé, de l’enseignement, des transports, ils témoignent d’un fort élan civique, mais ne parviennent pas à donner à tous un accès aux services essentiels, à remédier vraiment à l’asphyxie grandissante des villes et au dépérissement de l’activité commerciale de leur centre.
Il faut donc se demander pourquoi des initiatives vivantes, généreuses, intelligentes, qui esquissent, amorcent d’autres modes de production, de consommation et simultanément de gouvernance ont tant de mal à aller plus loin, à transformer leur essai, à se diffuser, à se généraliser, à changer d’échelle.
C’est qu’elles restent dispersées, émiettées ; enfermées dans leur propre activité dont la gestion tant sociale qu’économique est lourde, le financement difficile, elles manquent de lien entre elles, ont des réflexes de concurrence plus que de coopération ; bien que fondées sur des principes et des finalités communes, elles ne mettent pas en synergie leurs valeurs. Elles ont ainsi un trop faible poids sur les médias, sur les administrations publiques, sur les grands acteurs économiques qui ne les inscrivent pas dans leurs dispositifs, les sous-estiment et négligent leur apport à la réalisation de leurs objectifs.
Comment pourtant assurer la transition énergétique de l’habitat et des transports, modifier les contenus et les rythmes de l’enseignement, encourager et équilibrer l’alimentation et les cultures biologiques, tirer bénéfice de nouvelles technologies numériques, etc., sans s’appuyer sur la force d’expériences associatives, entrepreneuriales, mutualistes, coopératives qui dès maintenant ébauchent des solutions créatives aux besoins de proximité, régénèrent les compétences, modifient les comportements sur les territoires ? C’est sans doute sur certains de ceux-ci, particulièrement exemplaires, où l’on peut repérer des pratiques innovantes et prometteuses, des modes de gestion participative, un fort appui des institutions locales qu’il faut soutenir, approfondir et capitaliser des expériences fondées sur l’énergie tenace et créatrice des citoyens et qui sont l’appui indispensable au volontarisme pressant du pouvoir politique exprimé notamment par son pôle de transition écologique et solidaire.