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Blog «Gay tapant»

Je ne suis pas un assassin !

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En 2003 sort «Sérial Fucker. Journal d’un barebacker», livre dans lequel j’aborde les pratiques sexuelles à risques chez les gays. Dès lors, grâce à un savant battage médiatique, doublé de mon inertie dès qu’il s’agit de me défendre, j’ai été stigmatisé, on a fait de moi «le méchant» nécessaire. Poussé par ceux qui me connaissent j’ai choisi de donner ma propre version. Ce texte est suivi d’un article sur la question signé par Franck Desbordes, militant reconnu de la lutte contre le sida.
Photographie Frederic Gaillard DR
publié le 9 avril 2018 à 19h49
(mis à jour le 19 avril 2018 à 9h36)

Mais qu’est-ce que le barebacking ?

Le barebacking est un terme anglais qui vient de l'équitation et signifie littéralement «monter à cru» et désigne les rapports sexuels sans protection. Dans mon roman Sérial Fucker. Journal d'un barebacker (Éd Blanche), je racontais les aventures de BerlinTintin dans le monde gay des années 1990-2000 à Paris et en Europe, où déjà la non-utilisation de préservatif était la règle.

Dès la sortie du livre, je fus accusé d'être un «contaminateur», un «assassin», un «individu dépourvu de morale» et qui «s'amusait à filer le virus à d'ingénues proies sexuelles». Deux passages dans l'émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, contribuèrent à diffuser largement cette image de moi.

Résultat, j’ai perdu beaucoup d’amis et souffert d’une haine infinie de la part de gens connus ou inconnus. J’ai perdu tous mes jobs de journaliste. Je me faisais insulter dans le Marais, j’ai été agressé physiquement lors d’une manif gay. C’était rock’n’roll, très rock’n’roll. Je me suis laissé emporter par ce courant, j’étais jeune, rebelle et, naïvement, presque amusé par ce scandale qui me submergeait. Je ne me suis jamais vraiment défendu et j’ai subi en silence pendant des années ces attaques qui m’ont dépeint comme étant un personnage noir et perverti.

J’ai très peu, pour ne pas dire pas du tout, été soutenu par la communauté gay et ses intellectuels ou ce qu’il en reste. J’ai eu des tas d’ennuis, mais je ne regrette rien. Je suis fier d’avoir mis les pieds dans le plat. Attaqué de toutes parts, j’ai certainement très mal communiqué. C’était le triomphe de la pensée unique gay et straight. Prépondérante, cynique, destructrice. Mais cette pensée je la refuse et la réfute.

Erik Rémès est-il le défenseur du barebacking ?

Je suis avant tout un défenseur de la liberté sexuelle et individuelle, contre les moralistes et culs-bénits du sexe et du reste. J’ai été un lanceur d’alerte. Oui ! Mais je me suis retrouvé accusé.

Il faut premièrement rappeler que le Sérial Fucker. Journal d'un barebacker est un roman, une œuvre de fiction dans laquelle je décris une situation existante, un fait de large ampleur sociale. Les pédés baisaient sans capote. Les pédés (entre autres) baisent encore sans capote. À la maison, dans les boîtes, dans les rencontres romantiques, fortuites ou dans celles multiples des orgies. C'était une réalité, c'est une réalité. Une question sociologique avec des bases profondément liées à la question de la transgression, du désir et du plaisir. On ne pouvait pas faire l'autruche dans les années 2000 face à des réalités extrêmes existantes dans le milieu homo. Je connais des gens qui se contaminaient volontairement. C'était peut-être une façon de s'immuniser contre la terreur suscitée par le fantasme du virus. Je faisais partie de ces gens qui avaient fait le choix de baiser sans capote. On m'a immédiatement catalogué comme serial contaminateur. Je voulais décrire une réalité existante dans le milieu gay. Je suis devenu le bouc émissaire qui avait la mission de purger les peines de tout un mouvement social qui était nié, devant lequel on préférait se voiler la face avec un préventionnisme irréaliste plutôt que de le reconnaître pour mieux trouver des solutions. J'ai eu de grandes difficultés à faire passer correctement mes messages dans un système d'information qui réclame le scoop et écrase tout ce qui n'est pas la pensée unique.

Les années Sida semblent derrière nous et on a presque oublié que dans les années 1980-1990 c’était l’hécatombe. Pour les jeunes, le sida est mort depuis longtemps, beaucoup s’en contrefichent. C’est pour cela que les ringards de la prévention, avec leur tradi prévention archaïque sont totalement à côté de la plaque. Mais malheureusement, aujourd’hui, on ne donne plus assez d’informations sur le sida. On ne fait pas assez d’éducation sexuelle.

La révolution du TasP et de la PrEP

En 2018, de nombreux gays baisent sans capote. C'est un fait statistique. Même et surtout les jeunes. Qu'on le veuille ou non, Dustan et moi avions raison : la capote est insupportable et insoutenable à terme. Il fallait dire dans les années 2000 que de moins en moins de gens l'utilisaient. Il faut dire aujourd'hui que les préventionnistes deviennent minoritaires. Et dénoncer l'utopie de l'amour protégé. Je suis fier, tant d'années après, d'avoir, avec d'autres, eu raison avant tout le monde : TasP (traitement comme prévention, sérotriage, libertés individuelles, constat d'abandon de la capote).

Car aujourd'hui tout a changé. Il y a le TasP «traitement comme prévention» pour les séropos et la PrEP, (Prophylaxie pré-exposition) pour les séronégatifs, c'est une révolution. Les séropositifs traités ne sont plus contaminants et les séronégatifs peuvent prendre une trithérapie pour se protéger à la place des préservatifs. La seconde révolution du sida après l'arrivée des trithérapies. Il n'y a plus que la capote dans la vie et tant mieux (Voir le retour de la libération sexuelle). Car qu'on ne me dise pas qu'on peut avoir une sexualité épanouie avec des préservatifs ! C'est faux.

Il faut dépasser la pensée unique et l’intégrisme préventionniste qui ne réfléchissent pas la réalité existante et qui, trop rigides, ouvrent forcément les portes de la transgression et de la prise de risques.

La question est plutôt : comment se protéger dans ce contexte ? Comment mettre en accord protection, désir, plaisir ? Comment pouvoir encore faire l’amour sans le fantasme et la peur de la mort ?

Pour Franck Desbordes, président du Centre de santé 190 : «Quand on parle de ces deux trublions de la littérature (Guillaume Dustan et bibi, ndr), de leurs ouvrages, morceaux incontournables de la culture gay française, on repense inévitablement aux années Sida et au bareback puisqu'ils ont porté ce sujet sur la place publique, et c'est justement ce que certains leur reprochaient, ceux qui auraient préféré le silence, quitte à fermer les yeux sur l'épidémie galopante et sur les mécanismes de son développement, alors que dans un espace libre et démocratique, c'est bien le rôle des écrivains et journalistes, philosophes ou experts, de porter les sujets.»

Même son de cloche chez Tim Joanny Madesclaire, acteur de prévention et grand ami de Guillaume Dustan : Pour moi le grand mystère de cette époque sera pourquoi les pédés et les assoc. VIH ne se sont pas remobilisées ensemble dès la fin des années 1990 sur TasP et PrEP. Je pense que toi et Dustan avez été instrumentalisés par Act-Up, qui s'est aussi servi du conflit autour de la protection pour se restructurer. Mais je pense que toi comme Dustan avez mal joué la carte de la responsabilité partagée, et que vous vous êtes laissés embarquer dans un truc qui était trop risqué. Mais je ne vous jetterai jamais la pierre parce que sur le fond, on le sait, vous aviez raison

À l’époque j’avais voulu faire plus un travail de journaliste en décrivant cette réalité existante et j’ai payé cher mon honnêteté intellectuelle. J’ai porté cela pendant des années sur mes épaules.

Aujourd’hui je tiens à rétablir la justesse et la réalité des faits. Je ne suis pas un assassin. Je suis un écrivain. Un journaliste. Je suis un lanceur d’alerte. Un amoureux de la vie. Un rebelle. Je suis un libérateur.

Le texte de Franck Desbordes, militant sida reconnu et Président du Centre de santé le 190 publié dans Agenda Q au sujet de mon dernier livre «Pride. Chroniques de la révolution gay» :

Dustan, Rémès, la morale… et nous (et le regard que l’on porte sur nous et nos pratiques)

Comme tous les auteurs à scandales, Rémès est (et aura été) autant aimé que parfois détesté. Comme Dustan à l’époque. Ces deux intellectuels-pervers-queutards portaient l’odeur du souffre, on les invitait volontiers chez Ardisson pour faire le buzz. Ils auront d’ailleurs payé cher leur honnêteté ! Pour avoir évoqué ou avoir été témoins, voire vécu des moments sexuels non protégés, on les aurait brûlé vif en place de Grève devant un public moralisateur ou frustré, se masturbant intellectuellement et frénétiquement pour évacuer sa part de refoulements et de frustrations.

Car quand on parle de ces deux trublions de la littérature, de leurs ouvrages, morceaux incontournables de la culture gay française, on repense inévitablement aux années sida et au bareback puisqu’ils ont porté ce sujet sur la place publique, et c’est justement ce que certains leur reprochaient, ceux qui auraient préféré le silence, quitte à fermer les yeux sur l’épidémie galopante et sur les mécanismes de son développement ; alors que dans un espace libre et démocratique, c’est bien le rôle des écrivains et journalistes, philosophes ou experts, de porter les sujets.

Je me souviens précisément d’une altercation violente entre Erik rémès et l’association Act-Up Paris qui avait adopté une posture très moralisatrice à l’époque, condamnant les garçons qui avaient abandonné le préservatif et parfois le goût de l’avenir, les insultant et les traitant « d’irresponsables », porte ouverte pour que d’autres les traitent de « criminels » ; alors qu’au contraire, les gays, et les séropos oiu séro-interrogatifs attendaient écoute, orientation et soutien. C’est à cette époque d’ailleurs que la clientèle sex-soft-hard-fetish fréquentant les backroom s’est détournée durablement des associations et de leurs discours de l’époque souvent inappropriés, alors modelés par le dogmatisme et bien éloigné de tout principe de réalité… Un public qui s’était mécaniquement écarté de la prévention, de tout principe de réduction des risques, et du dépistage. Un véritable drame avec pour responsables directs : les auteurs, individuels ou en groupe, de cette stigmatisation. Les effets néfastes de cette violence étant désormais admis et assimilés, les plus intelligents s’accordent aujourd’hui à reconnaître les faits et tenter de résoudre ces situations avec une approche différente, construite autour de l’individu et de son mode de vie. Sans jugement ni préjugé.

L'altercation avec l'Act-Up de l'époque portait donc sur le roman de Rémès « Je bande donc je suis », avec la question qui empêchait Act-Up de dormir le jour et la nuit : Berlin Tintin (le héros du roman) était-il un personnage de fiction ou un personnage autobiographique ? En clair : Erik avait-il commis le péché d'écrire, de décrire une situation ? ou était-il lui-même le criminel suprême, le coupable idéal aux yeux de la morale publique, Le MAL incarné ? Un sujet suffisamment chaud pour intéresser les mamies devant des émissions télé pitoyables et voyeuristes dans les hospices, en train de tremper des spéculos dans le café tiède… Peut-être, mais nous ? Comment dire ? A cette époque, on était plus backroom qu'hospice, quant au speculos, c'est pas dans le café qu'on le trempait… tout ça pour dire que ce genre de polémiques stériles et inutiles, on s'en battait grave le popotin ! Et franchement, nous autres, on en avait strictement rien à fiche de savoir ce qu'Erik faisait de son cul et de sa queue le soir venu.

Et pourtant, à ses débuts, Act Up Paris réclamait « des molécules pour qu’on s’encule », slogan violent, irrespectueux, déviant quant à la norme et tellement juste. En ces jours où l’excellent film « 120 Battements par minute » retraçant la vie de l’association pendant les années sida, sort en salle, il est utile de rappeler que si l’essentiel de travail et du discours produit par Act-Up a été fondateur et source de changements profonds dans la société, comme toute association, elle a vécu des moments certes plus rares mais très discutables, comme cette prise de position contre une partie des gays, contre une partie d’elle-même pour ainsi dire.

D’autant plus qu’environ 20 ans plus tard, on sait (depuis plus de 10 ans grâce à une étude suisse) qu’une personne séropositive sous traitement efficace et prenant correctement son traitement n’est pas contaminante (c’est ce qu’on appelle le TasP). Et qu’un traitement peut aussi, pour les personnes séronégatives, être administré à titre préventif (c’est ce qu’on appelle la PrEP). La question du port de la capote avec ces deux nouveaux outils est donc désormais discuté dans les couples durables ou éphémères (même s’il reste plus sage et plus sûr de l’utiliser ou l’utiliser en plus). Mais avec le recul, on ne peut pas s’empêcher de penser à ce gâchis communautaire, toutes ces disputes sans grands fondements et surtout sans résultats bénéfiques. Tout ça pour ça ! Et penser à ces dizaines de milliers de personnes qui se sont infectées parce qu’ on avait construit devant elles un mur.

«Pride. Chroniques de la révolution gay», la Musardine 2017, disponible chez Amazon et la Musardine