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Chronique «Economiques»

Sélection à l’université : le pedigree plus important que le diplôme?

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Les filières d’élite, en elles-mêmes, ont peu d’influence sur la réussite des étudiants. Sauf pour les minorités.
Un étudiant d'Harvard brandit un singe en peluche, le jour de remise des diplômes le 5 juin 2008, à Cambridge (Massachusetts). (Getty Images/AFP)
publié le 9 avril 2018 à 17h06
(mis à jour le 9 avril 2018 à 18h51)

En France, les étudiants protestent contre les nouvelles règles d’accès à l’enseignement supérieur, qui entérinent la sélection à l’université via la procédure Parcoursup. La sélection concerne les filières dites «en tension», soit celles qui reçoivent plus de demandes qu’elles n’ont de places disponibles. Une raison clé du mécontentement des étudiants est la crainte que la sélection à l’université augmente les inégalités économiques et scolaires. L’expérience américaine montre que cette crainte est beaucoup moins fondée qu’on ne pourrait le penser. En effet, accéder à une meilleure école a un impact négligeable sur la réussite de la plupart des étudiants.

Comment est-ce possible ? N’est-il pas vrai que les étudiants des filières et écoles sélectives ont des carrières plus brillantes que les autres ? Oui, mais ! Se focaliser sur les écoles nous fait perdre de vue le fait que les étudiants arrivent dans le supérieur avec un bagage intellectuel, culturel et social qui joue un rôle bien plus important dans le déroulé de leur carrière que l’école à laquelle ils accèdent. Ceux qui accèdent aux filières sélectives réussissent mieux surtout parce qu’ils sont «meilleurs» au départ, et pas tellement parce que ces filières prestigieuses fournissent une formation de meilleure qualité.

On peut faire une expérience. Supposez qu’on tire au sort ceux qui accèdent aux filières sélectives et ceux qui en seront écartés. Si les filières sélectives augmentent vraiment la réussite, on devrait voir les heureux «gagnants» du tirage au sort réussir mieux que les «perdants». Or, deux études américaines sur les lycées d’élite et les classes pour surdoués montrent que ce n’est pas le cas.

Ces études comparent les étudiants qui ont tout juste raté leur examen d’entrée et ceux qui ont tout juste réussi. Par exemple, supposons qu’il faut 18 de moyenne pour accéder à ces filières d’élite. Les étudiants qui ont 17,9 de moyenne sont recalés alors que ceux qui ont 18,0 sont acceptés. La différence entre les uns et les autres est vraisemblablement due au hasard, puisqu’il suffit d’être un peu malade le jour d’un examen pour perdre un dixième de point.

Si on compare la réussite scolaire de ceux qui accèdent tout juste, par un heureux hasard, aux filières d’élite, à la réussite de ceux qui ont eu la malchance d’être refoulés, il n’y a pas de différence. La leçon, c’est que ces filières d’élite par elles-mêmes ont peu d’influence sur la réussite des étudiants. Si on est préparé pour une filière d’élite ratée de peu, on réussira tout aussi bien que ceux qui y entrent de justesse. Le «talent», leur bagage culturel ou social, des étudiants compte plus que la filière dans laquelle ils étudient.

Si les étudiants qui ont un bagage intellectuel plus favorable réussissent mieux, quelle que soit la filière dans laquelle ils étudient, faire de la sélection n’aura que peu d’influence sur les inégalités. Il y a pourtant des limites à ce constat. En effet, aux Etats-Unis, les étudiants des minorités africaine-américaine ou hispanique réussissent mieux lorsqu’ils ont la chance de se qualifier pour des filières d’élite qu’il s’agisse d’une classe pour surdoués ou d’une université très sélective. Pour les étudiants bien préparés de ces minorités, rater un examen d’un chouïa a de sérieuses conséquences pour leur futur, alors que pour les Blancs, cela ne compte pas. Donc, même si intégrer une filière d’élite n’a pas d’influence sur le futur des étudiants blancs, cela a des effets positifs pour les minorités, et contribue donc à diminuer les inégalités de réussite entre les Blancs et ces minorités aux Etats-Unis.

Il est donc important, pour préserver l’égalité des chances, de permettre l’accès aux filières d’élite pour les étudiants de milieux défavorisés qui y sont bien préparés. Un système centralisé d’affectation des étudiants est mieux à même de permettre un accès universel. Aux Etats-Unis, les étudiants africains-américains, qui ont le niveau pour accéder aux universités les plus sélectives, ont moins de chances de s’y porter candidats que les étudiants blancs. En ce sens, Parcoursup, en centralisant les candidatures, va dans la bonne direction, et il serait souhaitable que toutes les institutions y participent. De plus, Parcoursup devrait être optimisé pour permettre à tous les étudiants d’exprimer leurs vœux honnêtement et d’obtenir la meilleure affectation permise par leur dossier et le nombre de places disponibles. Au bout du compte, la sélection à l’université a vraisemblablement des effets mineurs sur les inégalités, mais cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner les efforts pour arriver à un système d’affectation des étudiants à la fois juste et efficace.

Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Ioana Marinescu.