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Libération
Tribune

La part de vérité de François Hollande

Entre l’analyse de son quinquennat et les attaques portées contre Emmanuel Macron, «les Leçons du pouvoir» de l’ancien président sont instructives et vivantes.
Francois Hollande, le 1er décembre 2016, au Palais de l'Elysée. (Photo Lionel BONAVENTURE/AFP)
publié le 12 avril 2018 à 18h26

Le quinquennat de François Hollande n’a, du début à la fin, cessé d’être caricaturé, déformé, sous-évalué. Voici la première plaidoirie vigoureuse qui surgit pour prendre sa défense. Son auteur n’est autre que l’ancien président lui-même qui ne laisse donc à personne le soin de défendre son bilan. Certains penseront sans doute que c’est trop tôt, moins d’un an après l’élection de son successeur. D’autres jugeront que l’ex-chef de l’Etat n’est pas le mieux placé pour proposer une relecture de son action. Ils auront tort.

Les Leçons du pouvoir (1) bien que tirées par son ancien détenteur constituent un livre passionnant, constamment vivant, parsemé de portraits piquants et de scènes pittoresques, défendant, avec ardeur, des choix qui furent plus que contestés. On y voit défiler tous les personnages majeurs du drame, dépeint avec franchise et une pointe attendue d'humour, de Jean-Marc Ayrault, réhabilité, à Manuel Valls, entre énergie, rude talent et loyauté carrée, d'Arnaud Montebourg, éruptif et théâtral, à Christiane Taubira, à laquelle François Hollande réserve lauriers et roses.

L’ex-président a l’œil vif et caustique, ses descriptions des conseils des ministres et des conseils européens, les scènes épiques entre Vladimir Poutine, Angela Merkel et lui-même sont menées bon train. Les drames et la mort sont aussi constamment présents et pèsent sur l’homme de l’Elysée, de la gestion des attentats de ce quinquennat sanglant - le désespoir des familles, le sang-froid et l’autorité de Bernard Cazeneuve, l’intrépidité des policiers et des gendarmes, la solidarité du «Nous sommes Charlie» à l’effritement du réflexe patriotique - tout y est. La mort encore et parfois le succès des interventions militaires en Afrique ou au Moyen-Orient, le lâchage de Barack Obama. La gravité et - oui - la détermination.

Le plus attendu est évidemment ce qui concerne Emmanuel Macron. François Hollande le désosse sans bassesse mais le démythifie sans indulgence. Le chapitre consacré à son ascension, à son émancipation, à son envol constitue un réquisitoire méthodique à travers un récit d’autant plus cruel qu’il se veut clinique. Il pourrait s’intituler «Audace et duplicité». Il insiste à l’excès sur l’imprévisibilité des événements, sur la chance inouïe, sur la conjonction des planètes mais il sous-estime l’intuition macronienne d’une société politique vermoulue, d’une demande de renouveau démocratique, de volontarisme, d’espérance et d’optimisme.

Dans le théâtre de François Hollande, Emmanuel Macron incarne la figure de l’ingratitude, de la dissimulation, du narcissisme. On dirait le Rubempré de Balzac. Le plus cruel porte cependant au fil des chapitres sur les initiatives de Macron président. Si François Hollande est sans illusion sur Emmanuel Macron candidat, il est sans pitié, parfois sans équité, sur Emmanuel Macron président.

Il serait cependant injuste de réduire ces Leçons du pouvoir à un règlement de comptes personnel. Car le plus intéressant, parce que le plus à contre-courant, porte sur l’affirmation de la cohérence de la politique menée durant cinq ans. François Hollande admet sans barguigner des erreurs : un choc fiscal trop brutal et pas toujours judicieux (la fin des heures supplémentaires défiscalisées), la loi El Khomri mal expliquée, mal pilotée (Macron avait proposé de le faire), la querelle malheureuse de la déchéance de nationalité, le regret de ne pas avoir mis en place la PMA.

Il revendique cependant la cohérence de sa politique économique (politique de l’offre, reconstitution des marges), la croissance finalement réveillée, la création d’emplois trop tardive. Ce n’est pas faux, même si cela s’énonce, s’applique et s’amplifie surtout à partir de janvier 2014. François Hollande a fait des choix difficiles dans des circonstances très complexes (déficits hérités, crise de l’euro, destin de la Grèce), il n’a pas pour autant commis de contresens. Malheureusement pour lui et pour les Français, les effets de ses choix se sont fait sentir trop tard. Emmanuel Macron a bénéficié d’une amélioration qui n’est devenue perceptible qu’avec lui. De même, en matière internationale, François Hollande a pris des décisions avec fermeté et lucidité.

Reste le mystère Hollande qui n'est jamais vraiment élucidé et qui traverse tout le livre. Pourquoi, dès juillet 2012, à peine élu, a-t-il fait l'objet d'un pilonnage brutal et, en tout cas, prématuré ? Pourquoi le «Hollande bashing» a-t-il atteint des proportions démesurées ? Pourquoi lui avoir refusé considération et équité ? Sans doute avait-il été élu plus par rejet de Nicolas Sarkozy que par séduction personnelle. Sans doute la gauche était-elle dès 2012 brisée en deux comme jamais depuis les années 60. Sans doute la droite et l'extrême droite étaient-elles majoritaires. Mais pourquoi «le président normal» n'a-t-il jamais pu ou voulu incarner, porter, assumer ? Sauf en politique extérieure et devant les attentats. Pourquoi la malédiction de l'Elysée l'a-t-elle frappé plus fort que les autres ?

(1) Les Leçons du pouvoir, Stock.