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Blog «Gay tapant»

Le "chemsex" des années 90 (1/2)

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Le chemsexe, sexe sous drogue, haut en couleurs et défonces, n'est pas une invention récente. Il a toujours existé, depuis que l'homme est homme et bien avant peut être encore. De tout temps les adjuvants de toutes sortes on servi a faire l'amour et au clubbing, jusqu'aux LSD et ecstasy du, déjà, siècle dernier. Et avant l'arrivée des Nouvelles drogues de synthèse (NDS) et l'ère autistique des smartphones qui permettent d'acheter en toute (il)légalité des drogues à 20 euros le gramme et du GBL à
Photographie Frederic Gaillard DR
publié le 22 avril 2018 à 8h36
(mis à jour le 1er mai 2018 à 7h59)

Vous prendrez bien un peu de salade ?

Le samedi soir direction la grande soirée du meeting à la périphérie de Zurich : un immense hangar tout en longueur. À l’entrée, un beau et grand Red Skin de deux mètres dix, oulala, piercé et tatoué, nous sourit d’un sourire entendu. Belle bête pesante avec son iroquoise bleu-vert et son septum de trois millimètres. Avec mon Didier, on commence la visite des lieux en pouffant comme deux touristes japonaises, la vulve en gyrophare, débridée. Une backroom est improvisée tout le long du bâtiment faite de bâches de plastique noir. Sur la droite : quatre bars. Au fond, la piste de danse. La musique, la sono et les éclairages sont impecs, c’est une vraie techno party avec des gens plus fous les uns que les autres, extasiés et allumés de tous poils, tatoués et piercés. Plus de mille mecs ! C’est une ambiance de rave gay décadente. Assez rare pour un meeting cuir. Je rencontre des personnages hybrides, débordant d’excentricités, des punks à crête bicolore, des parfaits clones de Tom Boy, militaires et policiers. Tous plus impeccables les uns que les autres.

X = X. Didier, hilare, s’approche de moi et me tend une ecsta et un acide achetés au beau Red Skin piercé de l’entrée, le géant qui nous avait fait un sourire très-très entendu. Je ne suis déjà plus qu’un chien sautant devant son morceau de super-susucre. Milou donc, je remue de la queue, les oreilles bien droites et la truffe tout humide, m’en pourlèche de joie les babines, j’aboie, ouvre la gueule et avale mon super-susucre que me tend en jouant la main vibrillonnante de mon maître. J’en pisse de joie contre son pantalon. Alors, je vais et je viens entre tes reins dans la cour de l’école où on danse telle une jeune fille de bonne famille dans un pensionnat catholique anglais strict, avec une toute petite jupe, stricte elle aussi mais très-très courte, en attendant la montée. Danser = vivre. Sur la piste, je bouge, un peu : ça vient ou quoi cette ecsta ?

Comme après la montée je n’aurai plus qu’une libido relative, oui-oui ça m’arrive parfois, l’X me rend souvent toute cérébrale, je décide, préventivement, d’aller au pipi-room faire politesses à notre-dame-des-water-closets et jouer de la clarinette baveuse afin de faire quelque provision de sperme pour le restant de la soirée ; mais aussi, remuer le panier à crotte d’une quelconque marie-salope pousse- toi de là que je te saute. Au pipi-room donc, je tombe nez à nez, oulala et c’est peu dire, sur un sexe éléphantesque. Je me ressuscite instantanément en Thérèse d’Avilla devant le Christ et me couvre de stigmates incandescents. Le sexe pachydermique m’allume, me chauffe, tire une latte puis me souffle en ronds de fumée qui s’envolent dans l’air frais et humide de Zurich. Je bande à midi et lui roule une escalope avec quelques feuilles de salades. Violemment, il me secoue comme un Orangina rouge, me décapsule, m’ingurgite puis, tel l’Ali Baba des banques suisses, me dévalise le coffre à quéquette. Il s’agite alors, hennit, rugit puis glousse et, très-très vite, me blanchit la pastille de sa mousseline épaisse : à s’en pourlécher les babines. Milou est vachement content, il adore la purée de carotte.

Béate telle la reine Victoria devant le prince Albert, je ressors des water-closets. D’un coup, très-très vite, particulièrement fort, ça frappe dans ma tête. Qui c’est, dis- je ingénument à la personne qui frappait dans ma tête ? Puis je sens soudain, subrepticement, que ça chauffe du moteur, les boutons présynaptiques se mettent à clignoter, ça s’emballe, je sens que ça monte, les parois intérieures devenir moites. Oui, ça monte, oulala, j’ai ma gaine de myéline qui éclate. Je cours vers Didier sur la piste la bouche encore engluée de foutre et la vulve grasse : Didier, Didier, putain je monte. Foutre Dieu moi aussi Berlinou, me dit Didier regardant sereinement mais avec une certaine insistance l’océan qui entourait dorénavant la Suisse. Ça, c’est de la colombe qui vous emmène au paradis ! C’est vrai, la drogue est meilleure que les merdes françaises, ça décoiffe sec. C’est trop presque. Alors bien sûr on adore la musique et on danse comme des folles. Je me sens débordant d’énergie de même que les lapins de la pub, avec de toutes nouvelles piles qui durent deux fois plus longtemps enfoncées dans le fion du lapin. Je me sens même fort comme le dieu des lapins qui jouent du tambour. Je vois et ressens des trucs complètement ouf, j’hallucine ! Je vois la musique ! Je me sens prêt à tout, être fou, être enfin réellement fou, parler à tout le monde. Je suis supra peace and love, aimable, affable, à table. Avec mon Lovinou on danse donc tels des fous, pris de sourdes et violentes convulsions, semblables aux femmes hystériques qui cassent la vaisselle et écrasent les mouches et leur mari avec un rouleau à pâtisserie fluorescent. On sourit bêtement aux poissons qui nous entourent et nagent dans l’océan, celui qui entoure dorénavant la Suisse et risque à tout instant de la submerger. Un sentiment puissant de plénitude m’étreint, je deviens extralucide, voyante roumaine dans une caravane de fête foraine, avec une jupe à froufrous arc-en-ciel : je vois donc votre avenir se profiler au loin, oui-oui le vôtre, mais, je ne vous en dirai rien : vivez, vous verrez bien. Je capte de nouvelles sensations, les énergies des poissons alentour m’apparaissent en couleurs et douées de valeurs thermométriques. Petit à petit, je me sens flotter à côté de mon enveloppe charnelle VIH (s’il pouvait d’ailleurs découcher celui-là !) : je pars en voyage astral.

Ça frappe à nouveau dans ma porte. Qui c’est, répétais- je à celui qui cognait dans ma tête ? Ça s’énerve pour rentrer, les boutons présynaptiques éclatent un à un, ça frappe de plus en plus fort, oulala, ça commence à foutre des coups de pieds dans ma porte. Viens Didier, c’est trop fort, criai-je à mon Didier, parle-moi putain, dis-moi des trucs, il y a quelqu’un qui veut rentrer dans ma tête, dis-moi n’importe quoi, il faut pas qu’il rentre, dis-moi que tu m’aimes, comme ça il pourra pas rentrer dans ma tête, oui, tiens Didier, dis-moi que tu m’aimes, il s’est arrêté de frapper, dis-moi que tu es fou de moi, ouf, il est parti, dis- moi que je suis tout pour toi, oui, qu’il n’y a rien d’autre que moi. Aime-moi mon Didier, embrasse-moi. Je veux ta langue, je veux tes mots. Regarde là-bas Didier, je vois BerlinTintin et Milou au loin s’en aller et me faire un signe d’adieu amical. Dis au revoir à Berlinou et Milou Didier ! Allez, au revoir !

Oulala, maintenant, c’est l’essoreuse cérébrale à sérotonine qui tourbillonne à toute vitesse dans la tête : la salade s’éjecte alors de l’essoreuse, les grosses feuilles de laitue s’écrasent à l’intérieur de mon cerveau, tapissent les méninges, me bouchent les yeux et les oreilles. Je me vascularise à tout-va et me vasodilate. La vinaigrette déborde de l’hypothalamus, je glisse dans ma tête sur les feuilles de salade. La vinaigrette bloque les neurotransmetteurs et commence à bouillir, ça craint ! Dans mon crâne-écran panoramique, je vois ma vie défiler à toute berzingue, j’ai douze ans, vingt, trente, quarante puis cinquante, soixante, je vais bientôt crever, le temps s’étire et m’embaume. Je me retrouve avachi contre une enceinte de la fête. Leurs vibrations envahissent mon corps et scandent : boum boum badoum. C’est mon cœur qui enfle et bat la chamade à cause de la vinaigrette débordant de l’hypothalamus, il va bientôt exploser. Merde, putain de merde, j’aurais pas dû tout gober en même temps, boum boum badoum, et je monte encore. Mais cela ne va donc jamais s’arrêter ? Les danseurs m’entourent et moi petit à petit, boum boum badoum, je me fossilise, incapable d’un quelconque mouvement. Le monde me fait peur, le monde va me manger et les poissons suisses ont tous été dévorés par des crapauds géants, mon mari lui-même est devenu la reine du château des Crapauds. Je reste prostré une heure ou plus, je ne sais pas, je ne sais plus, puis cela n’a aucune importance : on est en vacances. Les couleurs m’apparaissent d’une violence inouïe, boum boum badoum. C’est beau.

(La suite dans un prochain post).

Extrait de «Je bande donc je suis», Balland 1999/La musardine 2005. Ce qui est marrant, c'est que ce texte, je l'ai écris dans les locaux de Libé lorsque j'étais pigiste en 1992/1996. Texte que l'on retrouve dans «Pride. Chroniques de la révolution gay», la Musardine 2017, disponible chez Amazon et La Musardine. Aujourd'hui, nous sommes dans le 21em Sex.(Ed Textes gays)