Dans la première partie de ce texte, BerlinTintin, héros déviant, est en plein bad trip dans une rave party sexuelle.
Merde BerlinTintin réveille-toi, réponds-moi, ça craint me dit Didier en criant, sa gueule verte suintante de sueur, paniqué, on se demande bien pourquoi. Réveille-toi merde Berlinou, tes yeux sont blancs et vitreux, fais-les ressortir de ta tête. Boum boum badoum. Didier, j’ai terriblement soif dis-je. Il approche alors son écuelle de bière vers ma gueule, la pose à terre, je lape, la truffe sèche et les flancs haletants et sur le champ je dégueule : les chiens ça n’aime pas la bière et Milou ne boit jamais d’alcool. Je sens mes yeux revenir dire bonjour à Didier : bonjour Didier, disent mes yeux. Puis mes yeux de vouloir repartir à l’intérieur de ma tête pour admirer la superbe et admirablement verte salade verte qui tapisse les méninges. Putain va me chercher de l’eau chéri, c’est de l’eau dont j’ai besoin, de l’eau putain Didier ! Je vois alors mon Didier se déformer et se distendre dans un morphing polymorphe et se transmuter en un horrible ver à épice des sables de dune, à moins que ce ne soit en un chameau puant et difforme ou bien même encore en fruit des amours incestueux d’un chameau puant à une bosse, donc d’un dromadaire qui pue, avec un horrible ver à épice des sables de dune. Et cette espèce de chose innommable, hideuse et fétide de se déplacer en rampant vers le bar, y glisser telle une immense limace baveuse sur les gigantesques feuilles de laitue de la rave pour me ramener de l’eau. De l’eau dans le désert ! J’en bois, je m’en noie presque : Berlin-Tintin et Milou dans le désert. Didier qui a déjà repris partiellement forme humaine me parle mais je n’entends rien, je ne comprends plus rien, j’ai de la salade plein les oreilles, la salade de l’essoreuse à sérotonine qui a explosé tout à l’heure en faisant déborder la vinaigrette et alors, pour faire bonne figure à mon Didier et qu’il ne voie pas la salade qui dépasse des oreilles, je lui souris bêtement tel un poisson de l’océan suisse en me cachant les lobes avec les mains. Il me tend la précieuse bouteille d’eau du désert qu’avait ramenée la chose fort bizarre et puante et me dit que ça serait vraiment très-très bien que je prenne un peu l’air et que cela ferait aussi beaucoup de bien à la laitue de se refaire un peu de chlorophylle. Je lui réponds que ça va vraiment très-très bien et que la salade va partir s’essorer. Didier essaie alors de me lever mais il ne peut pas, je suis tétanisé, fossilisé sur l’enceinte comme un crapaud archaïque du désert, moi- même décibel pour aller danser. Boum boum badoum. Je me sens partir pour de bon, à jamais, avec la laitue toute lavée.
Il se passe encore du temps, combien de temps je ne sais pas, je ne sais jamais, puis cela n’a pas d’importance : je suis en vacances. Alors, mon Didier et le géant vert de l’entrée, celui qui nous avait vendu les X me portent, me tirent, me hissent de force à l’extérieur. À l’air libre, je peux enfin, oui oulala, enfin respirer. Mon colosse me mouille la gueule, me serre entre ses bras de géant. Me masse le dos de ses mains énormes, lentement, calmement. Et là, avec le temps, la machine à fabriquer des idées se calme enfin. J’embrasse mon titan, redeviens un bébé, un bouton embryonnaire même. Je m’apaise contre lui, mon cœur se calme, il se passe du temps, le rythme cardiaque se ralentit, systole, beaucoup de temps, un temps fou, dyastole, tellement calme maintenant que je crois que mon cœur s’est arrêté pour de bon.
Je ne sais pas ce qu’est devenue la salade et d’ailleurs, je ne veux pas le savoir. C’est bien de vivre sa vie sans salade aussi.
Vers trois heures du matin, je suis de nouveau prêt à aborder le réel, le vrai de vrai, pas celui qui est dans la machine à fabriquer des idées avec plein de laitue et de la vinaigrette, de toute façon je n’aime pas la salade verte : ma mère adoptive me forçait toujours à en manger. Comme mon bad trip est passé, et tant mieux, Didier et mon surhomme à l’iroquoise bleu-vert, mon héros, décident de me mettre à l’abattage. À l’abattage criai-je tel le capitaine du bateau-mon-cul. Super, c’est un fantasme que j’ai depuis belle lurette, inassouvi. Telle Cléopâtre, je satisferai donc cent phallus pharaoniques de ma fureur utérine. Mon skin monumental trouve l’endroit le plus sordide et boueux de la party : le plus érotique quoi ! Sur un panneau il marque « for sale » : c’est ma turbine à chocolat qui est à vendre. Ils me bandent ensuite les yeux avant de m’attacher à un arbre : les cuisses écartées, le troufignon bien en évidence, exubérant. Laitue dendrophile. Attaché, je me détends, me relaxe totalement, me laisse vaguer, je deviens zen, et, telle une balise Argos perdue dans l’océan suisse, mon cerveau émet maintenant de relaxantes ondes alpha, je m’hypnotise et vole dans le ciel de mon Grand-Tout. La grande essoreuse se remet en branle et sécrète alors de gentilles endorphines, je peptide à tout-va et me neuromédiatise, je deviens totalement euphorique et hystérique comme si j’avais mangé un camion entier de chocolat Lanvin, c’est fou ! Au fond du couloir dans ma tête, glissant sur les endorphines et le reste de salade verte, j’accède enfin à mon moi transcendantal : bonjour comment tu t’appelles ? Moi c’est Barbiepouffe et toiii ? Je suis concombre épanoui et citrouille radieuse. Ravi et comblé, mon fion en pète de joie des phéromones acidulées : un nuage d’acides aliphatiques à chaînes ouvertes se propage alors dans l’atmosphère suisse : j’ai le diencéphale qui s’éclate. Pendant que je me fais saillir à la chaîne par tout un troupeau d’hypothalamus surexcités par la fragrance, je pense amoureusement à mon skin, tel un chien à son maître, agent de sécurité, en combinaison noire hypra-moulante avec plein de trucs très-très sexes et phalliques qui pendent de la ceinture. En allemand, mon agent de sécurité personnel explique aux mecs alentour que je suis une chienne française et qu’il faut donc me baiser comme une grenouille. Une grenouille ? Pourquoi donc une grenouille ? Je n’entends pas très bien à cause du reste de laitue dans les oreilles mais tout de même, une grenouille, on ne me la fait pas à moi ! Je sens donc des crapauds baveux s’approcher, me toucher visqueusement, me doigter. Des escargots m’escalader et me baiser, vilains hermaphrodites, c’est délicieux, un vrai goût de paradis. Je suis la faune et la flore, l’air et la terre, l’eau et le vent dans le jardin du Grand-Tout. Petit à petit je deviens une parfaite putain. C’est beau : Milou court après les crapauds qui sautent partout-partout et les escargots se régalent de la salade.
Extrait de «Je bande donc je suis», Balland 1999/La musardine 2005. Texte que l'on retrouve dans «Pride. Chroniques de la révolution gay», la Musardine 2017, disponible chez Amazon et la Musardine.