Menu
Libération
Chronique «écritures»

Nos présidents sont parfaits

publié le 4 mai 2018 à 19h36

On dirait parfois que les idées comptent pour rien. Qu’elles ne sont que du vent. Que seule vaut l’énergie, la fougue, la maestria d’acteur avec laquelle on les émet. Bref : la beauté du ventilo. Sa puissance. La netteté de sa colonne d’air. Le brillant de ses pales.

J'étais par hasard dans le sud des Etats-Unis pendant la visite de Macron à Trump, pour un reportage sur la frontière avec le Mexique, à paraître dans la revue America. Et je reste fasciné par l'ensemble de la séquence. Par la chaleur inédite des gestes échangés le premier jour entre les deux hommes : poignées de main viriles, fières, regards intenses de deux chefs qui jubilaient tout d'un coup de se reconnaître, en même temps que sautait aux yeux une certaine ressemblance entre eux, un ethos partagé, autoritaire, mâle, cultivant la force, le fait d'«en avoir». Adoubement du jeune prodige français par le roi des cow-boys, en son ranch, à mille lieues de la poignée de main glaciale des tout débuts de Macron à son homologue américain. Cette poignée de main qui en son temps avait parue digne, à la mesure de la grossièreté de la politique que Trump entendait conduire dans son pays et dans le monde - la même pourtant qu'il mène toujours.

Revirement le lendemain au Congrès, avec un discours soudain critique de Macron, sans que Trump en prenne un seul instant ombrage. Comme si cela faisait partie du jeu, comme si c’était bien la moindre des choses, que Brutus égratigne un peu César, que ce jeune et tempétueux président français récite sa partition progressiste, la même qu’il ressert partout à l’étranger, parvenant chaque fois à se poser en leader humaniste, moderne, soucieux d’environnement, de dialogue, d’ouverture à l’autre - cela au moment même où il conduit dans son pays une politique fondamentalement autoritaire, antisociale, anti-immigration, antilibertés, pro-riches. Hallucination de la standing ovation unanime du Congrès, enfin. C’est-à-dire d’une majorité républicaine pro-armes, pro-gaz de schiste, pro-mur à la frontière mexicaine, anti-Obamacare, anti-impôts. Comme si tout le monde se foutait bien au fond du sens des mots de Macron. Comme si seule importait l’énergie, la poigne du jeune président. Sa furia trop impressionnante pour que ses pairs américains, en animaux politiques rompus à l’art oratoire, ne lui rendent pas hommage.

«How was the performance ?» demandent souvent les Américains après un spectacle. Comment s’est passée la performance, avec ce mot qui en français résonne de double façon, le spectacle s’y entendant moins que la démonstration de force. «Great. The performance was great.» Quel ventilo. Quel splendide moteur de ventilo, ce Macron. Rebelote le lendemain, à l’université Columbia, où, au jeu des questions-réponses avec les étudiants, l’indéniable répartie macronienne ne manqua pas non plus de faire son effet. Quelle vivacité. Quel feu. On apprendra au passage que des affiches moins enthousiastes, placardées par des étudiants d’extrême gauche, plus au fait du climat social actuel en France, ont été préalablement arrachées par le service d’ordre du président français.

«Vous avez un président tellement formidable.» Phrase qu'il faut endurer presque partout à l'étranger, et à laquelle on se sent toujours un peu rabat-joie de répondre en émettant quelques bémols, voire de franches réserves. Ah ces râleurs de Français. Seront-ils jamais contents ? Ce serait pourtant tellement simple. Trump ne l'a-t-il pas dit aux journalistes qui étaient là ? «He is perfect.» Macron est parfait.

Cela en époussetant les pellicules du costume de notre président, geste qui restera dans les annales, c’est sûr, autant que l’ovation du Congrès, et beaucoup plus que toutes les idées énoncées pendant ces trois jours. Un président français acclamé. Un président américain assez bon performeur lui aussi pour rappeler d’un coup, de ce geste ahurissant, aussi grossier qu’efficace, sa domination. En politique comme dans la vie, si je peux te toucher, c’est que je te domine. A peine atterri à Ouagadougou, Macron avait gentiment tapoté la joue de Roch Kaboré, son homologue burkinabé. En époussetant tranquillement le costume de Macron, Trump a rappelé à tout le monde, d’emblée, qui était Papa. Mais pourquoi chercher la petite bête. Puisque tout s’est magnifiquement passé. Puisque nous avons un président si jeune, si énergique. Puisque tous les deux sont «parfaits».

Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Sylvain Prudhomme et Tania de Montaigne.