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TRIBUNE

Le Brexit ne doit pas être utilisé pour liquider la PAC

Alors qu’outre-Manche les discussions sont loin d’aboutir, la Commission européenne a déjà chiffré lourdement le départ du Royaume-Uni. Pourquoi tant de précipitation ?
publié le 7 mai 2018 à 17h56

Dans la bulle européenne, une bataille de spécialistes fait rage concernant les pertes budgétaires que le Brexit pourrait entraîner à terme. Or, ce montant dépendra de ce que les députés anglais décideront. La bataille a lieu à Londres entre les hard et les soft Brexiters. Au lieu de foncer tête baissée, l'Union européenne doit attendre le résultat de cette discussion houleuse outre-Manche avant de discuter de son budget en connaissance de cause ! Les estimations faites par la Commission européenne et reprises par les services du Parlement négligent ce point central : à moins d'un an du Brexit, personne n'est en mesure de chiffrer son impact budgétaire pour l'Union européenne.

Ce montant ne pourra être correctement évalué que lorsque l’accord du Brexit aura été validé par le Parlement européen et le Conseil, donc pas avant mars 2019. Proposer un cadre budgétaire pluriannuel début mai 2018, comme vient de le faire la Commission, relève d’une stratégie politique et non d’une politique budgétaire. C’est de la manipulation. En effet, du côté des institutions européennes et, en particulier, la Commission, tout est fait pour avancer le chiffre le plus important possible : de l’ordre de 10 milliards d’euros de manque à gagner après le départ du Royaume-Uni, voire 12 et pourquoi pas 15 ! C’est le chiffon rouge qui est agité devant le taureau. Ce n’est pas acceptable et ce n’est pas honnête.

D'autres études récentes, dont celle publiée par Farm Europe (1), estiment que le trou se situera dans une fourchette comprise entre 6,6 et 9,4 milliards d'euros. Cela fait une différence de 2,8 milliards d'euros qui n'est pas négligeable. Elle dépendra en fait de la décision du Royaume-Uni de rester dans l'union douanière ou d'en sortir. Michel Barnier leur a clairement indiqué qu'ils ne pourraient pas avoir le beurre et l'argent du beurre (you can't have your cake and eat it too) plus un menu à la carte (cherry-picking), entre autres expressions anglaises à la mode par les temps qui courent dans les couloirs de Bruxelles et de Londres.

Le débat au Royaume-Uni est centré sur la question de savoir s'il doit quitter l'union douanière ou non. Cette discussion a lieu en ce moment même et agite le monde politique et médiatique anglais. Quand je dis maintenant, c'est aujourd'hui et dans les jours à venir. D'un côté, il y a les hard Brexiters, avec à leur tête Theresa May, la Première ministre, qui se retrouve coincée par la coalition qu'elle a créée avec les extrémistes d'Irlande du Nord. De l'autre, il y a les soft Brexiters, composés des libéraux, des travaillistes et des députés écossais à Westminster, ainsi que des conservateurs qui, tout à coup, commencent à prendre peur des conséquences d'une séparation brutale. Theresa May saura donc dans les jours qui viennent si sa ligne intransigeante gagnera la partie. Mais rien n'est joué car Theresa May n'est pas aussi influente que l'était Margaret Thatcher.

Il apparaît donc comme inconcevable de se prêter à ce jeu d’ombres. Le débat sur le budget pluriannuel doit être reporté après les élections européennes de 2019. Le Brexit ne doit pas être utilisé pour liquider la PAC et pousser un cran plus loin la renationalisation des soutiens aux paysans.

(1) http://www.farm-europe.eu/wp-content/uploads/2018/04/Financial-impact-of-Brexit-FINAL.pdf