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Libération

16 mai : grève illimitée et slogans à l’infini

publié le 15 mai 2018 à 17h06

Pompidou s'inquiète. Il pariait sur un reflux, c'est le raz-de-marée. Partout en France la grève ouvrière prend comme un feu de brousse. La CGT a sauté dans le train : du coup le mouvement devient national. La centrale de Georges Séguy, liée au PCF, ne veut pas d'un mouvement insurrectionnel. Elle se cantonnera à des revendications immédiates, quantitatives pour l'essentiel. Mais, pour l'instant, elle pousse à la roue. Les dépôts de Montparnasse et de Vaugirard s'arrêtent. A 14 heures à Cléon, la grève illimitée est votée, bientôt Billancourt va rejoindre le mouvement. Aux PTT, les jeunes postiers imposent eux aussi l'arrêt de travail. Rhodiacéta, les Forges du Creusot, Nord-Aviation, Hispano-Suiza, Babcock, Berliet, Rhône-Poulenc, cessent le travail. A 17 heures, il y a 300 000 grévistes. A 22 heures, ils sont 600 000. Dans un effort désespéré, Pompidou décide de parler à la télévision. Dans l'après-midi, il enregistre une déclaration solennelle pour appeler les Français à «refuser l'anarchie». Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que la télévision a invité en début de soirée les trois leaders étudiants, Cohn-Bendit, Geismar et Sauvageot. Face à trois journalistes plutôt hostiles, les jeunes gens ne se démontent pas. Ils parlent clair, manient l'humour et la provocation. Ils ont gagné leurs galons de stars de la contestation. Diffusée dans la foulée, l'intervention enregistrée du Premier ministre paraît mécanique, compassée, décalée. Pompidou a arrêté sa tactique : il tiendra bon en faisant le gros dos. Tôt ou tard, la contestation et la grève générale donneront une image de désordre et d'aventure. Lassée de la grève et apeurée par la perspective d'une révolution, l'opinion se retournera. Pour hâter la reverse, Pompidou compte sur le spectacle baroque de la Sorbonne occupée. Dans un premier temps, il se trompe. Au son des orchestres, dans un foisonnement de débats et d'initiatives militantes, la vieille université est le lieu d'une extraordinaire libération de la parole qui suscite fascination et enthousiasme. Sur les murs, les slogans témoignent de cette étonnante créativité collective : «L'imagination prend le pouvoir», «Prenez vos désirs pour des réalités», «Sous les pavés, la plage». Et encore, plus poétiques ou plus incongrus : «Plus je fais la révolution, plus j'ai envie de faire l'amour, plus je fais l'amour, plus j'ai envie de faire la révolution» ; «Assez d'actes, des mots !» ; «La vie est ailleurs» ; «Cache-toi, objet» ; «La liberté est le crime qui contient tous les autres». La révolution du verbe double la révolte sociale.