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Chronique «Politiques»

Etats-Unis - Europe : le bouclier fissuré

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L’incertitude créée par Trump menace en premier lieu les pays du Vieux Continent, dont la défense militaire semble menacée.
publié le 16 mai 2018 à 19h06
(mis à jour le 16 mai 2018 à 19h16)

Barack Obama dédaignait l’Europe mais la ménageait. Donald Trump la méprise, la bouscule, la menace et la défie. Le président américain n’est pas seulement le grand déstabilisateur des relations internationales, l’apprenti sorcier qui met le feu au Moyen-Orient et inquiète le monde entier. Il est aussi l’homme qui aura enfoncé un coin entre l’Europe et les Etats-Unis, l’homme qui aura instillé le doute au sein de l’Alliance atlantique, l’homme qui aura fissuré le bouclier américain qui, depuis soixante-neuf ans, garantit la sécurité de l’Europe. Donald Trump ou l’allié incertain.

Le président américain a reçu en visite d'Etat Emmanuel Macron avec tous les honneurs et la manifestation balourde de son amitié. Il n'a pas pour autant modifié d'un centimètre sa position sur le traité nucléaire iranien. Le président français a eu beau lui proposer des additifs, il les a rejetés sans hésitation et sans ménagement. Il avait décidé de sortir du traité, il en est sorti, déchirant, sans états d'âme, les engagements américains, reniant sans scrupule la signature de l'Etat le plus puissant du monde, quelles que soient les conséquences négatives qui en sortent. Il a ainsi renforcé au sein de chaque pays de la région le camp des irréductibles au détriment de celui des modérés. Les frappes aériennes survenues dès le lendemain ont illustré les risques supplémentaires qu'il a introduits. A cette occasion, pour la première fois, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les autorités de l'Union européenne ont publiquement désapprouvé une décision diplomatique essentielle d'un président américain. Au sein de l'Alliance atlantique créée en 1949, une fracture aussi spectaculaire entre les deux pôles, l'américain et l'européen, ne s'était jamais produite ainsi. On avait vu s'exprimer des divergences franco-américaines assez nombreuses sous la Ve République, on avait même vu Gerhard Schröder s'opposer à George Bush sur l'Irak, mais jamais pareille brisure entre les deux rives de l'Atlantique. Donald Trump ou la fin de la confiance.

Même chose, peu de temps auparavant, à propos de l’accord sur le climat. Là encore, malgré les objurgations d’Emmanuel Macron, Donald Trump a décidé de se retirer d’un accord reconnu comme une avancée majeure dans la lutte contre les dérèglements climatiques. Toute la communauté internationale a eu beau s’offusquer, beaucoup de responsables américains ont pu le critiquer, le résultat est là. Donald Trump a déchiré un accord. La parole des Etats-Unis devient donc réversible. Il introduit ainsi un doute perpétuel sur la valeur des engagements américains. Les Européens savent désormais à quoi s’en tenir. Ce partenaire-là, cet allié irremplaçable, ce garant traditionnel de la sécurité en Europe n’est plus fiable. Les Etats-Unis ou l’allié ambigu.

Quant au commerce international, le voilà qui s’engage, du fait américain, dans de grandes turbulences. Donald Trump se présente en champion de l’unilatéralisme. Ce n’est pas un titre usurpé. Son slogan électoral «America First» entre dans les faits. L’homme de la Maison Blanche menace le monde entier, donc les Européens, d’augmentation sensible des droits de douane et de sévères sanctions pour les entreprises qui commerceraient avec l’Iran, y investiraient ou qui concluraient des contrats en dollars, comme c’est le cas de la moitié du commerce international. Autant dire qu’il introduit ainsi un grand facteur d’incertitude et de dérèglements dont l’Europe n’est pas protégée. Les conséquences de ces initiatives peuvent d’ailleurs déboucher sur une nouvelle crise financière. Donald Trump ou les ravages de l’unilatéralisme.

Comment imaginer que les alliances militaires soient à l’abri de décisions brutales, fantasques ou aléatoires ? A peine élu, Donald Trump avait tenu, à propos du pacte atlantique, des discours inquiétants que son entourage avait dû rectifier en toute hâte. Il est évident que son intention d’exiger des pays européens une participation financière plus élevée à leur défense commune sera confirmée. Elle n’est pas illégitime mais si elle n’était pas respectée, le président américain serait homme, il l’a déjà laissé entendre, à menacer d’un désengagement partiel. Le plus grave est ailleurs : l’Europe n’a pas de défense autonome. Beaucoup de ses Etats membres y sont au demeurant hostiles. La France et le Royaume-Uni sont les seules nations à disposer d’une défense crédible. Encore Londres se refuse-t-elle à toute défense européenne autonome. La Grande-Bretagne ne veut à aucun prix sortir du giron américain, fût-il inquiétant. En somme, il n’existe pas d’alternative crédible au pacte atlantique à l’échelle au moins d’une génération. Le pacte était jusqu’ici d’une solidité à toute épreuve. Avec Donald Trump, l’homme qui déchire les traités et renie les signatures, il ne l’est plus. L’Europe est nue.