Voilà Alain Badiou qui monte aux barricades pour défendre l'héritage de Mai 68. Dans un court essai, On a raison de se révolter (Fayard), le philosophe, gardien scrupuleux de «l'hypothèse communiste», s'agace de voir «l'explosion printanière» ramenée au rang d'une colère estudiantine sans pensée.
Il défend ces journées effervescentes où, à travers la planète, et pas seulement rue Gay-Lussac, les jeunes et les ouvriers se sont dressés pour dire qu'un autre avenir était possible. L'ancien Mao, dirigeant de l'Union communiste de France marxiste-léniniste, l'UCF-ml, décompose Mai 68 en quatre temps. Distant avec celui des étudiants qui ne faisaient que représenter la classe dominante dont ils étaient issus, il le qualifie de «vaine agitation» consistant à vouloir «transformer l'Université, à créer des "groupes de travail", à contester les examens, à critiquer le "cours magistral", à changer imaginairement les programmes et autres occupations de second ordre, quoique pleines de bonne volonté».
Le deuxième Mai, celui des ouvriers est, lui, loué, non sans raison, comme «la plus grande grève générale de toute l'histoire française» initiée par les jeunes ouvriers revendiquant une violence passant par l'occupation des usines et la séquestration des patrons. Ce Mai sera ensuite récupéré par la CGT et le PCF qui feront le lien sinon avec les étudiants, en tout cas avec la démocratie toujours disqualifiée par l'auteur avec des guillemets précautionneux.
Il y a un troisième Mai qu'il qualifie de libertaire et qui trouve grâce, aujourd'hui, à ses yeux. Les questions dominantes sont cette fois les mœurs, les rapports amoureux, la liberté individuelle d'où découlent le mouvement des femmes et la question homosexuelle. Ce qui n'était alors qu'une lutte secondaire a permis «un ébranlement de ce pilier de la réaction qu'a toujours été la famille».
Que reste-t-il de l'agitation protéiforme du joli mois de mai ? Un quatrième Mai qui «prescrit encore l'avenir» et laisse de l'espoir à Badiou qui s'accroche, contre les vents mauvais des «nouveaux philosophes» et les marées refluantes de l'union de la gauche, à l'hypothèse communiste. De 1968 à 1988 émerge une autre conception de la politique, articulée jusque-là autour des syndicats et des partis. Le véritable legs de Mai 68 serait celui du refus radical du «crétinisme parlementaire», résumé par le plus célèbre des slogans «Elections, piège à con».
Le quatrième Mai serait donc celui des maos qui avaient vu juste en proposant de créer la «diagonale des trois autres», glorifiant les «Gardes rouges» et la Commune de Shanghai pour qu'émerge «une nouvelle idée de la politique […] éclairée par le stade maoïste de la pensée marxiste […], organisant des déplacements, matériels et mentaux, foudroyants».
Et aujourd'hui ? Aujourd'hui, nous en sommes là pour Badiou qui admet être encore «aveugle» sur les formes à venir de la transformation de la politique. Peut-être faudrait-il parler d'aveuglement quand il s'agit de maintenir, coûte que coûte a-t-on envie d'ajouter, «l'hypothèse historique d'un monde délivré du profit et de la propriété privée». Badiou, il maintient «une idée» : «Voilà pourquoi nous restons contemporains de Mai 68. A sa manière, il a déclaré que la vie sans idée était insupportable.» Soit, mais est-il possible de mettre un «s» à l'Idée agrémentée d'une curieuse capitale en fin de livre, qui démarre et s'achève sur une phrase de Mao : «On a raison de se révolter.»
Précision. Une erreur s'est glissée dans ce récit de Mai : en 1968, Alain Badiou n'est pas membre d'une organisation maoïste (il en fondera une plus tard). Il est membre du PSU. Mille excuses pour cet impair. [Précision parue le 26 mai 2018 en page 51]