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Libération
TRIBUNE

Cher Mark Zuckerberg : notre vie privée n'est pas à vendre

Des députés écologistes invitent le PDG de Facebook à promouvoir le nouveau règlement européen sur la protection des données, qui entre en vigueur vendredi.
Manifestation à Bruxelles lors d'une rencontre entre Zuckerberg et des responsables politiques européens, en mai. (Photo François Lenoir. Reuters)
par Yannick Jadot, Eva Joly, Michèle Rivasi, eurodéputé·e·s du groupe les Verts/Alliance libre européenne, Karima Delli et Pascal Durand
publié le 24 mai 2018 à 15h03

Cher Mark Zuckerberg,

Bienvenue en Europe, où la protection des données n’est pas une option, mais un droit fondamental. Votre venue cette semaine tombe à point nommé : à partir du 25 mai, le nouveau règlement européen sur la protection des données (RGPD) entre en vigueur. Cette législation renforce le contrôle des utilisateurs sur leurs données personnelles tout en simplifiant la vie aux entreprises – dont Facebook évidemment – grâce à un ensemble unique de règles.

Le nouveau règlement fixe des obligations plus strictes sur la manière dont les entreprises peuvent collecter et utiliser nos données personnelles. Notre consentement éclairé en devient la pierre angulaire : il devra être demandé en des termes clairs et facilement compréhensibles. Adieu les conditions générales interminables. Adieu aussi les demandes injustifiées des entreprises qui nous obligent à fournir des données personnelles pour accéder à leur service.

Nous sommes fiers du travail des écologistes qui ont œuvré pour que l’Europe se dote du cadre de protection le plus avancé au monde. Ce progrès majeur n’avait rien d’évident. Jamais le Parlement européen n’a connu un tel lobbying de la part des multinationales du numérique – dont la vôtre –, si bien que le nombre d’amendements déposés sur ce texte a atteint un record. Après quatre années d’intenses négociations, il a fallu une détermination sans faille du chef de file des négociations pour le Parlement européen, l’eurodéputé vert Jan Philipp Albrecht, pour en arriver là.

Nos adversaires politiques n'ont eu de cesse de prétendre que des règles trop protectrices désavantageraient l'Union européenne face à ses concurrents. Et voilà que, devant le Congrès américain il y a peu, vous leur avez apporté la meilleure réponse en expliquant que le règlement européen était «positif» et que vous envisagiez même d'en étendre l'application partout à travers le monde. Preuve que ces ambitieux standards de protection ont vocation à fixer les règles du jeu mondial : la place prépondérante du numérique dans nos vies doit aller de pair avec une protection accrue de nos données. C'est le chemin à suivre ; et nous vous y encourageons.

Après que vous avez combattu ce règlement, nous vous invitons à le promouvoir et vous sommons – au minimum – de l’appliquer correctement. Les citoyens sont de plus en plus attentifs à la manière dont sont utilisées leurs informations : être à la pointe en matière de protection de la vie privée va devenir un avantage compétitif certain. D’autant plus qu’en Europe, les utilisateurs pourront désormais changer facilement de réseau social grâce au nouveau «droit à la portabilité» qui leur permet de demander le transfert des données d’un fournisseur de services à un autre, plus protecteur par exemple.

Surtout, vous mettre à niveau empêchera que votre entreprise puisse encore une fois être responsable de l’exploitation abusive des données personnelles de plus de 87 millions d’utilisateurs, qui plus est à des fins électorales comme l’a montré le récent scandale Cambridge Analytica.

Si ces arguments ne vous convainquent guère, les sanctions y aideront peut-être. Car à partir du 25 mai, de tels abus pourront faire l’objet d’amendes allant jusqu’à 4% du chiffre d’affaires. De quoi faire réfléchir avant de revendre des données à notre insu.

Nous exigeons davantage de transparence et des engagements forts de votre part suite à ce scandale. Pas plus que des belles paroles ne suffiront à rétablir la confiance des citoyens. Nous vous demandons de rendre publics les résultats de votre enquête interne, y compris le nom des applications tierces qui ont pu aspirer les données d’utilisateurs. Nous vous demandons d’appliquer des standards élevés de protection des données pour tous les utilisateurs de Facebook, quel que soit leur lieu de résidence. La protection des données et le respect de la vie privée sont des droits fondamentaux. Précisons, non-monnayables.

Déterminés à continuer à les défendre, nous restons donc vigilants sur ces enjeux qui nous apparaissent essentiels pour préserver aujourd’hui et demain les droits élémentaires de nos citoyennes et de nos citoyens. Nous espérons que Facebook avancera dans la même direction. Parce qu’au fond, le contrôle de l’usage de nos données est une question de civilisation : l’extension continue du domaine de la marchandisation au détriment du respect des individus n’est pas acceptable. Notre vie privée n’est pas à vendre.