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30 mai : le peuple appelé aux urnes

publié le 29 mai 2018 à 17h06
(mis à jour le 29 mai 2018 à 19h34)

Les mots claquent comme des ordres. «Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J'ai un mandat du peuple, je le remplirai. Je ne changerai pas le Premier ministre. Je dissous aujourd'hui l'Assemblée nationale. Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu'on entende bâillonner le peuple français tout entier, en l'empêchant de s'exprimer en même temps qu'on l'empêche de vivre, par les mêmes moyens qu'on empêche les étudiants d'étudier, les enseignants d'enseigner, les travailleurs de travailler.»

Ragaillardi, requinqué, rendu à lui-même, De Gaulle est revenu le matin de Colombey après une nuit de sommeil. Avant le Conseil des ministres, il a vu Pompidou qui tient en main sa lettre de démission, balayée d'un mot. Il lui a lu le discours, qu'il prononcera à la radio à 16 h 30. Pompidou a approuvé, à une nuance près : il y manque l'annonce d'une dissolution, qu'il réclame depuis de longs jours. De Gaulle voudrait gagner par son seul verbe. Une victoire électorale serait celle de Pompidou. Il résiste. Mais le Premier ministre finit par mettre sa démission dans la balance. De Gaulle a encore besoin de lui. Il cède. Comme naguère de Londres, la voix caverneuse et coupante change l'histoire. La France, écoutant le discours, comprend que la fête - ou le cauchemar - est finie. De Gaulle appelle le peuple aux urnes. Comment refuser ? Les étudiants, cette fois mal inspirés, vont bien crier «Elections piège à con !», le slogan le plus maladroit de 1968, qui traduit un refus de la démocratie, la France ira évidemment voter.

Et dans cette ambiance révolutionnaire, le parti de l'ordre, désormais majoritaire, se ralliera, comme un seul homme, au grand homme ressuscité. La preuve en est faite aussitôt le discours achevé. A la place de la Concorde, que les gaullistes trouvaient trop grande pour leur défilé trois jours plus tôt, une marée humaine se rassemble et monte vers l'Etoile. Toute la droite, gaulliste ou antigaulliste, est là, avec la bourgeoisie qui bat le pavé, les notables, les cadres, les ouvriers apeurés par le communisme, toute la France du juste milieu, mélangée à celle de la réaction. A l'Etoile, Malraux et Debré, éperdus, entonnent une Marseillaise tonitruante à la tête d'un cortège immense. Mai 68 n'est pas terminé. La France est toujours en grève et le pays est encore arrêté. Mais cette fois, la Révolution qui a montré le bout de son nez est bien finie.