Le 31 mai, soudain, la France est devenue un pays dans lequel on pouvait faucher sciemment la vie d’un jeune homme sans aller, ne serait-ce qu’un jour, en prison. Un pays dans lequel on peut tuer non pas pour se défendre d’une agression mais pour se venger de celle que l’on a subie ou pour récupérer les biens que l’on vous a volés. Voici la leçon que l’on peut tirer de la décision de la cour d’assises des Alpes-Maritimes dans la triste affaire du bijoutier de Nice. Le jeune homme, Anthony Asli, était un braqueur multirécidiviste de 19 ans qui pénétra, avec un complice, le 11 septembre 2013 dans le magasin de Stephan Turk. Ils le frappèrent violemment avant de partir avec une importante somme d’argent. Mais le commerçant tua Asli avec une arme qu’il n’avait pas l’autorisation de détenir alors que ce dernier s’enfuyait en scooter.
Selon les premières déclarations du bijoutier, ce geste, il le fit dans le but de récupérer son argent car sa vie n’était alors plus en danger. Or, la cour d’assises a suivi les réquisitions de l’avocate générale, qui demanda, contre toute attente et après avoir écarté la thèse de la légitime défense, une peine de cinq ans de prison avec sursis pour violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans volonté de la donner. Pour justifier son réquisitoire, elle a mis en avant la violence des coups portés contre le bijoutier.
Il est possible que la décision de la cour d’assises soit liée aux soutiens massifs que le commerçant reçut via Facebook : 1 600 000 personnes avaient applaudi le meurtre d’Anthony Asli. Mais est-ce un argument ?
Les juges ne devraient pas attendre que de telles hécatombes arrivent pour ne pas céder aux demandes des foules haineuses qui se sont exprimées sur les réseaux sociaux. Bien au contraire, ils devraient profiter de l’occasion d’un procès très médiatique, comme celui du bijoutier de Nice, pour faire comprendre au public que la vie du jeune Anthony Asli, qui d’ailleurs n’a jamais tué personne, était absolument précieuse, beaucoup plus précieuse que l’argent qu’il avait volé et aussi précieuse que celle du bijoutier qui la faucha. Cela aurait été si facile, d’ailleurs. Asli n’avait que 19 ans. Il avait pour lui la vertigineuse incertitude d’une vie à bâtir. Qui sait ce qu’elle aurait pu devenir si Stephan Turk n’y avait pas mis fin alors qu’elle ne faisait que commencer ? Et même si l’on avait la certitude que le jeune braqueur deviendrait un horrible assassin, le bijoutier n’avait pas le droit de le condamner à mort et d’exécuter sa sentence d’autant que la France a aboli la peine capitale. Parfois on oublie ce que cette abolition signifie, notamment au regard des limites qu’elle pose au déferlement de la haine collective. Les juges du bijoutier n’ont pas pris leur rôle au sérieux, ils ont consciemment ou inconsciemment poussé un peu plus la France dans les bras du populisme. Sans compter les conséquences fâcheuses que leur décision aura dans le domaine de la criminalité et de la sécurité. Si les braqueurs risquent d’être assassinés par leurs victimes lorsqu’ils essayent de s’enfuir sans que ces dernières fassent un jour de prison même quand elles se servent d’armes non autorisées, ils seront tentés de prendre d’affreuses précautions. En effet, pour ne pas être tués comme des lapins, les braqueurs assassineront leurs victimes avant de s’enfuir. Cela justifiera que la population se pare en masse d’armes meurtrières. D’armes qui tueront des centaines de personnes par accident ou par la folie de ceux qui s’en empareront.
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.