Comme naguère Sarkozy, Macron cause peuple. Sarkozy mangeait les négations et massacrait la grammaire, Macron fustige en bras de chemise le «pognon de dingue» que l'on injecte dans l'aide sociale. Et il tient à faire savoir qu'il cause peuple, en faisant fuiter la vidéo d'une réunion prétendue off, sous les dorures de l'Elysée. Pousse-t-il le vice jusqu'à avoir prémédité l'effet combiné chemise et dorures ? A ce stade, tout est possible. Il est de plus en plus difficile de s'y retrouver dans les intentionnalités, entre les vrais faux off, et les faux vrais. Pour tenter tout de même, on peut se raccrocher à l'heureuse formule du chroniqueur d'Europe 1 Raphaël Enthoven : «Il porte le masque du type qui a tombé tous les masques.» On ne saurait mieux dire. Quand on ne sait plus ce que l'on voit ni ce que l'on entend, se souvenir de cette phrase.
Essayons tout de même. Le plus efficace masque de Macron, c'est son absence d'agressivité. On est aux antipodes du «Casse-toi, pauvre con !» sarkozien. Même s'il n'en pense pas moins (ce que personne ne sait), jamais Macron ne traiterait les chercheurs de nuls qui ne trouvent rien, ni les magistrats de petits pois conformes. Macron n'est pas énervé contre ceux qui ne sont rien, ni contre les conducteurs SNCF. D'un signe, il fait approcher les syndicalistes SNCF au premier rang du bain de foule, devant même les militants LREM rameutés par la préfecture, et tente de les convaincre, filmé par le Facebook Live de l'Elysée. Il ne veut pas nous punir, il veut notre bien, notre réussite, notre fortune tant qu'à faire. On n'est tout de même pas sur une couverture du Point ou du Fig Mag, encore moins dans un discours de Wauquiez. On n'est pas dans une mise au pilori des feignants, des assistés, des escrocs à l'aide sociale, des faux chômeurs. On est après tout ça, après la table rase. Macron est de plain-pied dans le post Fig Mag. Le discours de Wauquiez et du Point a eu son utilité en son temps, l'offensive frontale est allée aussi loin qu'elle pouvait. L'heure est à l'effet seconde lame, avec les mêmes finalités.
Mais Macron pousse le raffinement plus loin. Démolissant voici quelques semaines le rapport Borloo pour la ville, il risquait même un hold-up sur le vocabulaire décolonial des Indigènes de la République, expliquant que deux «mâles blancs» n'allaient pas résoudre seuls le problème des banlieues. En annexant le discours des dominés (quand il se dépeint lui-même en «mâle blanc» illégitime), Macron a perfectionné Sarkozy. Sarkozy nous la faisait frontale, Macron nous la fait à l'envers. C'est épuisant de tenter de comprendre comment on nous la fait à l'envers. «Dès que vous entendez parler de se responsabiliser à propos de santé, vous savez que c'est de l'arnaque», a dit un jour très justement Mélenchon.
Deux mâles blancs ; un pognon de dingue : ne cherchons pas la cohérence de ces appropriations, il n’y en a pas, sinon un plaisir pervers à se couler dans le parler de l’Autre, le pauvre, ou le militant décolonial. La politique de la ville est raciste (une affaire de mâles blancs). L’aide sociale est paternaliste (elle n’aide pas à apprendre à pêcher). Délice du fils du maître, qui pique pour mardi gras les habits du jardinier, ou les hardes du palefrenier. Qu’il est taquin !
Si l’on veut saisir la vérité profonde de Macron, il faut plutôt écouter ses silences. Là, c’est du lourd, du dense. Le silence de Macron sur l’Aquarius, par exemple : 630 parias dérivent sur la Méditerranée. L’Italie n’en veut pas. Malte n’en veut pas. Que va dire la France ? Macron va-t-il apparaître sous les dorures en bras de chemise, flagellant l’Italie, ou ricanant à propos du «benchmarking» des migrants, comme son ministre de l’Intérieur ? Etonnamment non. Rien. Soudain, on dirait que le programme «je te lamine, mais c’est pour ton bien» a buggé. Rien ne vient spontanément. Ni offre d’hospitalité, ni ode à la raison d’Etat, ni même les deux entretissés, à la Macron. Même sur le «benchmarking» de Collomb, le gouvernement recule, mal à l’aise. Les pauvres, on peut y aller. Mais devant l’icône du migrant, leur main tremble. C’est quand il ne trouve pas les mots, que Macron sonne le plus juste. Quand aucun bruitage ne vient parasiter le grand silence de la supercherie.