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Libération
Chronique «à contresens»

Balance tes Miss

Aux Etats-Unis, le concours Miss America renonce aux défilés en bikinis. Mais était-ce l’archaïsme le plus gênant de ce type d’événement ?
publié le 22 juin 2018 à 17h06

Afin de prendre acte de la révolution produite aux Etats Unis par le mouvement #metoo, l’organisation du concours Miss America ne fera plus défiler les candidates en maillot de bain ni en robe de soirée. Ces deux épreuves seront transformées et consisteront désormais en un dialogue avec le jury et en la présentation par la candidate d’un projet humanitaire. Ce ne sera donc plus un concours de beauté, mais de charisme, d’intelligence, d’engagement dans le monde. Miss America représentera comme jadis un idéal féminin, certes, mais il tiendra compte de ce que les sociétés actuelles attendent des femmes. Exit les trophées pour cruches en bikini.

Or toute la question est de savoir pourquoi ne pas avoir purement et simplement aboli ce concours ridicule conformément aux demandes réitérées depuis des années par celles qui luttent pour les droits des femmes? En effet, on ne voit pas très bien à quoi servirait ce concours nouvelle mouture. Si l’on veut donner une nouvelle image des femmes, autant exhiber celles qui ont réussi des exploits dans les domaines scientifiques, artistiques, politiques et non pas des jeunes filles à qui l’on suppute des avenirs radieux.

Mais surtout, les organisateurs risquent de perdre l’ancien public qui appréciait que l’on exhibe des femmes comme des vaches au Salon de l’agriculture. Il faut bien avouer qu’en dépit des critiques que l’on pourrait adresser à ce public aux idées rétrogrades, on comprendrait qu’il s’ennuie mortellement en contemplant ce concours de jeunes filles vertueuses que serait devenu le concours Miss America.

Pour vraiment en finir avec le machisme, voire l’archaïsme, de ce concours, il faudrait s’y prendre autrement. On pourrait ainsi garder l’idée originale de «concours de beauté», qui est finalement moins absurde qu’un concours d’intelligence ou de générosité. C’est pourquoi il faut absolument garder les épreuves en maillot de bain et en tenue de soirée.

Mais au lieu de ne faire concourir que des jeunes filles, il faut au contraire diversifier les catégories. Elargir le concours de beauté aux garçons mais aussi aux transsexuels et aux transgenres. Et cesser de réserver ces épreuves aux jeunes, en faisant participer aussi des vieux et des vieilles. Un tel concours devrait aussi être ouvert aux personnes handicapées qui aspirent à juste titre à ce que leur beauté soit reconnue. On choisirait la personne la plus belle, la plus sexy, la plus charmante sans tenir compte ni de son genre, ni de son âge ni de son état de santé. Cela montrerait qu’être un objet sexuel n’est pas une chose absurde. Ce qui est idiot et macho, c’est que seules des jeunes filles jouent ce rôle. Ce qui est stupide c’est aussi que les critères de beauté soient tellement normés et fixes.

Un tel concours, en plus d’être insolite et plus original, aurait une fonction sociale très précieuse car il apprendrait au public à regarder au-delà des catégories (homme, femme, jeune, vieux, handicapé et bien portant) qui brouillent notre regard. Ne serait-il pas logique d’organiser un tel concours dans un monde où justement l’on se targue de ne discriminer personne en fonction des apparences ? Ce serait le meilleur moyen de combattre les préjugés qui nous empêchent de voir l’autre, le discriminé, tel qu’il est réellement. D’ailleurs, ce serait toute la population et non pas un petit jury de conformistes et d’intrigants qui déciderait de qui mérite de porter le titre de Miss ou de Mister America. Car choisir la beauté qui représente un pays tout entier concerne tous ses habitants. C’est une manière de dire au monde voici la personne que nous proposons au jugement esthétique des nations, voici notre goût et notre caractère.

Bref, il semblerait que ces extravagants Américains aient perdu une excellente occasion de construire sur les décombres d’un concours machiste un amusement populaire vraiment révolutionnaire. Existe-t-il déjà un dispositif qui puisse être plus révolutionnaire que celui susceptible de transformer dans notre sensibilité le laid en beau et le beau en laid ?