Un président de la République qui humilie un collégien qui vient de lui dire «Ça va, Manu ?», j'appelle ça la France, Mademoiselle, et pas n'importe laquelle, la France d'Emmanuel Macron !
Cette vidéo filmée par LCI a été le succès viral de la semaine, une séquence d'apparence anecdotique devenue un fait politique majeur. L'échange avec le collégien est d'abord apparu comme un argument de communication pour le Président, affirmant ainsi son autorité et draguant cette France allergique à la chienlit. Emmanuel Macron a d'ailleurs republié par la suite, et dans une version plus longue, la vidéo sur son compte Twitter.
Sur le plateau de BFM TV, les analystes politiques ont applaudi de concert, saluant «la leçon de politesse» et la «saine» réaction du Président. Mais plus que les réactions convenues d'éditorialistes, c'est bien davantage la réponse du web qui ancre un tel buzz dans la mémoire collective. Les internautes n'étaient pas franchement du même avis que le plateau de BFM TV. Très vite après la publication de la vidéo, une blague a commencé à courir les réseaux : le monologue de Macron face au collégien rappelle une fameuse séquence de OSS 117 : Rio ne répond plus.
« Changer le monde, changer le monde, vous êtes bien sympathiques mais faudrait déjà vous lever le matin ! » #OSS118MacronNeRepondPlus pic.twitter.com/2SbZjF5AHa
— David Honnorat (@IMtheRookie) June 19, 2018
Les internautes ont alors commencé à plaquer des citations de Macron sur des images d'OSS 117 et la blague s'est rapidement imposée comme une évidence, déferlant sur les murs Facebook. Sur Twitter, @mathieumatiu n'en revient pas : «Ça marche avec n'importe quelle phrase que Emmanuel Macron a jamais prononcée. Chaque. Phrase. Est une. Putain. De. Réplique. De. OSS117. On a élu le premier mème vivant.»
De nos jours, même les mèmes sont fact-checkés et France Info a fait le boulot en posant la seule question qui vaille : «Emmanuel Macron a-t-il des points communs avec l'agent OSS 117 ? On a vérifié.» Réponse : oui, les journalistes ont retrouvé quatre séquences où Emmanuel Macron colle parfaitement au personnage de Hubert Bonisseur de La Bath.
Quand un internaute taquin a eu la bonne idée de lancer une extension Chrome remplaçant sur toutes les pages Internet les mots «Emmanuel Macron» par «Manu», c’est évidemment avec une image d’OSS 117 qu’il a illustré sa page.
Même l'algorithme de Netflix a trouvé quelques similitudes entre Emmanuel Macron et le serviteur de René Coty.
Mercredi, la bonne vanne a encore décuplé son audience, quand Jean Dujardin a lui-même diffusé un montage circulant sur Internet comparant OSS 117 à Macron. Une image évidemment reprise sur de nombreux sites people.
Le succès de la comparaison, passée en deux jours des franges hipster de l'Internet à Closer.fr, a de quoi parasiter la séquence médiatique d'Emmanuel Macron. Ce n'est ainsi plus le début du monologue du Président qu'on retient («Tu m'appelles Monsieur le président de la République ou Monsieur») mais la suite, nettement moins à son avantage («Le jour où tu veux faire la révolution, tu apprends d'abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même»).
L'exemple des Guignols montre à quel point une insistante caricature peut avoir une influence sur la vie publique. Jacques Chirac en avait fait l'expérience dans les deux sens, porté en 1995 par son «Mangez des pommes !» avant que les Guignols n'en fassent plus tard, à son détriment, un «Super Menteur». A voir la jubilation de Nadine Morano à l'annonce de la mort des marionnettes de Canal, on comprend que pour les politiques, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Aujourd'hui, ce ne sont plus les Guignols mais bien davantage Internet qui façonne les caricatures des politiques. François Hollande a traîné comme un boulet le surnom «Flanby», inventé par Arnaud Montebourg mais qui a fait florès sur Internet, repris sans relâche par ses opposants.
La comparaison avec OSS 117 a le potentiel pour s’installer, pour devenir un nouveau surnom donné au président. Macron a traîné «Jupiter» comme un boulet dans la première année de son mandat, pas sûr qu’être surnommé «OSS 117» par les internautes l’enchante beaucoup plus. Plutôt que de lutter contre les fake news, Macron devrait mettre en place des services de contre-mèmage, qui tenteraient de repousser les mèmes avant que les blagues ne deviennent globales, avant qu’elles ne s’installent comme une évidence et ne parasitent complètement son discours.
Il n'est pas inintéressant de signaler que l'image postée par Jean Dujardin provient de Startup Autonome, une de ces pages Facebook d'extrême gauche qui mènent le combat culturel sur Internet à coups de mèmes. L'admin de la page assumait, dans une interview à Libé, le caractère éminemment politique de ses blagues : «Ma page Facebook est avant tout politique, mais on introduit ça avec humour pour toucher les gens autrement qu'avec des vieux tracts tout pourris que personne ne lit et que tout le monde jette.»
On imagine parfaitement Emmanuel Macron faire la leçon à ces jeunes branleurs des Internets qui passent leur journée à bricoler des mèmes : «Changer le monde, changer le monde vous êtes bien sympathiques mais faudrait déjà vous lever le matin. Je sais pas si vous êtes au courant mais le monde, il vous attend pas, le monde il bouge et il bouge vite». C'est aussi ça, la France start-up de René Coty.