Menu
Libération
Chronique «L'âge de réseaux»

Emmanuel Macron et la mafia bretonne : pensée complexe, blagues simplistes

Chronique «L'âge de réseaux»dossier
La petite vanne vexante lancée par le chef de l'Etat au pape est un «piège à clics» pour internautes qui lisent les titres, mais pas les articles associés. La morale de l'histoire reste inchangée : un président ne devrait pas dire ça.
Emmanuel Macron et le pape François après leur rencontre privée au Vatican jeudi. (Photo Alessandra Tarantino. AFP)
publié le 29 juin 2018 à 6h18

OSS 117 a encore frappé. En présentant Jean-Yves Le Drian au pape François, Emmanuel Macron a laissé échapper une petite blague digne des meilleures répliques de Hubert Bonisseur de La Bath.

Cette séquence relève quasiment du clickbait (piège à clic). On clique pour la tonitruante phrase «les Bretons, c'est la mafia française» et on découvre, presque déçus, une scène badine où Le Drian lui-même plaisante sur l'existence de cette mafia bretonne. Interrogé par Ouest-France, le ministre des Affaires étrangères s'est fait l'exégète de la blague présidentielle, précisant que s'il y avait une mafia bretonne, c'était une «mafia du bien».

Quelques politiques, comme le socialiste Emmanuel Maurel ou l’Insoumis Thomas Guénolé, ont tout de même tenté, sans grande conviction, de déclencher une polémique.

Des arguments moyennement convaincants. Une fois n'est pas coutume, c'est Christine Boutin qui a visé le plus juste. Entre deux tweets pestant contre les rave partys organisées à l'Elysée, l'ancienne candidate à la présidentielle a posté cette image virale d'une redoutable efficacité.

Le souci avec la petite phrase d'Emmanuel Macron, c'est qu'elle est la dernière d'une très longue liste. Cette carte de France dessine un panorama des dérapages langagiers d'Emmanuel Macron, de ces petits moments d'égarement devenus des faits politiques, de ces blagounettes devenues des slogans stigmatisants. Un ministre ne devrait pas dire ça, un candidat à la présidentielle non plus et un président encore moins. Mais aucune polémique ne semble avoir altéré le comportement de Macron qui poursuit son tour de France de la petite vanne vexante, se permettant même des featurings aussi prestigieux que le pape François.

Les frontières entre les mèmes et l'information sont chaque jour plus ténues et le Huffington Post a repris et complété cette carte pour en faire une véritable infographie de presse.

Ainsi contextualisé, on voit que ces petites phrases relèvent pratiquement toutes du même scénario. Il ne s’agit pas de discours préparés à l’avance mais d’expressions qui surgissent au hasard d’une conversation, dans l’ivresse du moment. Emmanuel Macron adore descendre dans l’arène et avoir une discussion franche et informelle avec les personnes à qui il rend visite, que ce soit le pape ou un cheminot de Saint-Dié.

Emmanuel Macron n’est pas naïf, il n’ignore pas qu’il est sans cesse filmé et que chacun de ses propos lui sera potentiellement opposable. Mais il fait preuve d’une grande candeur à penser que le contexte lui rendra toujours justice, que ses propos francs du collier se comprendront au vu du contexte de la conversation et du dialogue direct qu’il souhaite avoir avec les Français sur le terrain.

Kamoulox

Que restera-t-il la semaine prochaine de cette blagounette sur les Bretons ? Tout le monde aura oublié la vidéo et la réaction souriante de Jean-Yves Le Drian pour ne retenir que cette petite phrase qui s'ajoute à la carte de France du mépris macronien : «Les Bretons, c'est la mafia française.»

«Une phrase qui aurait pu passer inaperçue…» écrit Ouest-France. Sauf que de toute évidence, une telle phrase ne peut plus passer inaperçue. A une époque où tout est filmé sous une dizaine d'angles de caméra ou de téléphone différents, les plaisanteries en aparté deviennent des contenus médiatiques et prennent souvent davantage d'importance que les discours de tribune.

Surtout, Internet renforce la focalisation sur la petite phrase au détriment du contexte. Sur Facebook ou Twitter, les internautes cliquent de moins en moins sur les liens et se contentent souvent du titre de presse. «Macron au pape : "Les Bretons, c'est la mafia française"» est un contenu d'une viralité bien supérieure à la vidéo en elle-même. Ainsi, peu importe la réponse amusée de Le Drian, seul compte ce titre Kamoulox qu'on croirait tiré du Gorafi ou d'un mauvais épisode d'OSS 117.

Pour justifier le faible nombre d'interviews données à la presse, l'entourage d'Emmanuel Macron avait fait valoir que «la "pensée complexe" du président se [prêtait] mal au jeu des questions-réponses avec des journalistes». De la même manière que sa pensée complexe n'est pas adaptée aux colonnes des journaux, les blagues simplistes du président ne sont pas faites pour Internet.