Questions à Marielle Debos, enseignante-chercheure à l'Université Paris Nanterre – ISP dont la dernière publication est Living by the gun in Chad: Combatants, Impunity and State Formation, Zed Books, 2016.
Que signifie l’expression ’métier des armes’ au Tchad ?
S'il y a une grande fluidité entre les différents statuts (rebelle/militaire/civil), le monde des armes est en revanche fortement hiérarchisé. Concevoir les armes comme un métier permet de saisir les mécanismes de différenciation sociale et les rapports de pouvoir au sein de ce monde professionnel. Les chefs rebelles sont des entrepreneurs politiques globalisés qui voyagent entre les capitales de la région mais qui passent aussi par le Qatar ou la France. Ils vont chercher dans des alliances transnationales des ressources pour financer leur mouvement politico-militaire. Les commandants miliaires sur le terrain font le lien entre ces chefs rebelles et les combattants. Ces derniers forment une main d'œuvre combattante bon marché qui bénéficie peu des dividendes la guerre.
Vous soulignez que ce métier est exercé par des hommes. Pourquoi est-ce important ?
Vous montrez que l’histoire de l’armée tchadienne est indissociable de celle de l’armée française. Quel est le rôle joué par les Français ?
Dans la période post-coloniale, les Français ont continué à considérer le Tchad comme un espace stratégique, notamment d'un point de vue militaire (les intérêts économiques français au Tchad n'ont en revanche jamais été importants). Le Tchad est le pays d'Afrique qui a connu le plus grand nombre d'interventions militaires françaises depuis son indépendance. A la fin des années 1960 et dans les années 1970, les militaires français ont mené des guerres contre-insurrectionnelles contre les factions du Front de Libération Nationale du Tchad (Frolinat) qui ont été meurtrières pour les civils. Entre 1982 et 1990, la France apportait avec les Etats-Unis un soutien clé à l'ancien président Hissène Habré qui a été condamné en 2017 pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et torture par un tribunal spécial africain à Dakar. L'Opération Epervier mise en place en 1986 dans le cadre de la politique de « containment » de la Libye de Kadhafi n'a pris fin qu'en 2014… quand elle a été remplacée par l'opération Barkhane, l'opération « anti-terroriste » française au Sahel et Sahara. Si les missions des opérations extérieures qui se sont succédé ont changé, le Tchad n'a jamais cessé d'être considéré comme un espace stratégique par l'ancienne puissance coloniale. En étudiant le rôle des militaires français au Tchad, on a une vision différente non seulement de l'histoire tchadienne mais aussi de l'histoire française. Vue du Tchad, l'histoire de la France sous la Ve République est celle d'un pays qui n'a cessé de mener des guerres
Pour aller plus loin:
Debos Marielle, Powell Nathaniel, "L'autre pays des 'guerres sans fin' : une histoire de la France militaire au Tchad (1960-2016)", Les Temps Modernes, n°693-694, 2017, pp. 222-266.
Human Rights Watch,«Allié de la France, condamné par l'Afrique : les relations entre la France et le régime tchadien d'Hissène Habré (1982- 1990) », Human Rights Watch Report, juin 2016.
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