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Blog «Géographies en mouvement»

Locarno (3). Vices de Nice

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Derrière le paysage de carte postale de la Côte d’Azur, le film Sophia Antipolis brosse le portrait oppressant d’un monde en manque d’idéaux. Visite de la Baie des Anges déchus.
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publié le 3 août 2018 à 10h05
(mis à jour le 6 août 2018 à 13h57)

Les palmiers, le bleu de la mer et du ciel se rejoignant à l’horizon, le soleil : les plages d’Antibes et de Nice offrent une synthèse des fantasmes du touriste en quête de calme et de volupté. Mais quelques dialogues dans le cabinet d’un chirurgien esthétique suffisent pour que derrière le rêve pointe le cauchemar. L’aspect documentaire du 16 mm est à un coup de bistouri du film d’horreur.

Loin de la Promenade des Anglais, Virgil Vernier filme le quotidien d’une galerie de personnages en errance. Samantha, dont la fille a disparu il y a un an, veut croire que ses rêves de réconciliation sont prémonitoires. En attendant, elle raconte ses visions de complot mondial aux adeptes de la secte où elle cherche un sens à son existence.

Christophe, agent de sécurité, traumatisé par la découverte d’un cadavre calciné, entend protéger sa fille d’un monde pathogène, gangrené par le vice. Comme la police ne fait pas son travail, lui et quelques compères effectuent des rondes dans les rues de la ville pour faire régner le « bien ». Quitte à mettre le feu à un campement illégal, en toute bonne conscience.

Samantha et Christophe, mais aussi Kim, Léna et Tarik, dont les trajectoires s’entrecroisent sous un soleil qui brûle plutôt qu’il ne réchauffe, partagent un horizon désertique. Que ne risquent pas de remplir les néons des casinos ni les vitrines de luxe de la Croisette.

Le vide des zones

« Lieu froid dans un pays chaud », nous dit Vernier, la technopole Sophia Antipolis inflige aux personnages la logique du zonage : ici les bureaux, là les résidences, ici le parc naturel, là les lieux de loisirs. On se calfeutre derrière des barrières et des digicodes, la voiture règne sans partage, des compagnies de sécurité privées rôdent sans bien connaître les limites géographiques de leurs compétences.

Entre ces « non-lieux », pas une once d’espace où générer une vie en commun. La rationalité supposée de l’aménagement fonctionnel, incarnation dans l’espace de la logique productive, crée du vide. Y compris celui des bureaux et des espaces commerciaux restant à louer.

Les uns s’entraînent aux sports de combat et jouent aux justiciers à la nuit tombée, les autres se font refaire les seins ou se gavent d’antidépresseurs, d’autres encore communiquent avec des mondes parallèles. Et Virgil Vernier nous prévient : la misère existentielle engendre la folie ordinaire.