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Tribune

Les arrêtés antimendicité ravivent le temps où mendier était un délit

Au nom de l'ordre public, le maire de Besançon a interdit récemment la mendicité dans ses rues. Une décision qui illustre la criminalisation des personnes fragilisées.
Le maire de Besançon est à l'origine de l'arrêté antimendicité du mois de juillet. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
par Vincent Brengarth, avocat
publié le 22 août 2018 à 18h16

La presse a récemment révélé l'existence d'un arrêté pris par la mairie de Besançon, au début du mois de juillet, interdisant la mendicité en ces termes «la consommation d'alcool, la mendicité accompagnée ou non d'animaux, les regroupements ainsi que la station assise ou allongée lorsqu'elle constitue une entrave à la circulation publique sont interdites». Au prétexte de la protection de l'ordre public, c'est ainsi la pauvreté qu'on marginalise, à travers la mendicité qui en est la cruelle expression.

Alors qu’en 2016 la polémique des arrêtés antiburkini avait agité la sphère publique, l’été semble une période propice à une redéfinition de l’ordre public selon des critères abandonnés aux édiles. En application de la loi, la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publics (article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales). Pour autant, la mendicité paraît moins interdite pour le risque de trouble à l’ordre public qu’elle occasionnerait, plutôt que pour le désagrément visuel qu’elle représenterait. La liberté d’aller et venir des plus précaires cède également devant la commodité de passage des mieux lotis. Cette volonté de voir disparaître la mendicité, au moment où les touristes et consommateurs inondent les rues bisontines, n’est pas sans rappeler que le vagabond a pu, au cours de l’histoire, être considéré comme un délinquant.

Dans une note adressée au ministre de l'Intérieur en 1807, Napoléon concevait toutefois la répression de la mendicité comme une incitation à un changement de comportement de la part des pauvres, non sans rappeler l'idée d'un choix (récemment soutenue par le député LREM Sylvain Maillard) : «Les choses devraient être établies de manière qu'on pût dire : tout mendiant sera arrêté. Mais l'arrêter pour le mettre en prison serait barbare ou absurde. Il ne faut l'arrêter que pour lui apprendre à gagner sa vie par son travail. Il faut donc une ou plusieurs maisons ou ateliers de charité.»

Sous l’empire du code pénal napoléonien de 1810 (remplacé en 1994 par le nouveau code pénal), le vagabondage était ainsi un délit. Les vagabonds étaient définis comme ceux n’ayant ni domicile certain, ni moyens de subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession (article 270 de l’ancien code pénal). La mendicité était également réprimée par les articles 274 et suivants du même Code.

En l’état actuel du droit, la demande de fond sous contrainte – plus communément appelée «mendicité agressive» – est réprimée par l’article 312-12-1 du Code pénal. Le législateur a cependant entendu réprimer la forme prise par la mendicité, le cas échéant la violence qui l’accompagne, mais non la mendicité en elle-même, du moins officiellement. Notre code pénal témoigne donc d’une dépénalisation de la mendicité, seulement nuancée par la pénalisation de la mendicité agressive, mais qui ne s’est pas totalement accompagnée d’une évolution des mentalités sur le sujet.

En plus d’être laissés-pour-compte, les indigents restent indésirables. Ils ne le sont plus pénalement mais administrativement. L’arrêté antimendicité illustre en effet une résurgence de cette criminalisation du mendiant, dont le maire prend directement la charge en profitant de la souplesse de la notion d’ordre public sous réserve du contrôle du juge administratif.

La technique n’est pas nouvelle mais, plus encore, elle s’inscrit dans un courant de franche hostilité envers les populations fragilisées, au nombre desquelles les migrants et à rebours, peut-être, de ce que le Conseil constitutionnel semblait dessiner en consacrant une valeur constitutionnelle au principe de fraternité. Au surplus, l’arrêté, discrètement pris, ne s’accompagne d’aucune communication, d’aucun message autre que celui du rejet de celui dont la vision pourrait ne pas coïncider avec l’image d’Epinal d’une vie où la pauvreté serait invisible, non parce qu’elle n’existerait pas mais parce que l’on refuserait de la voir.

Comble de l'ironie et selon l'article R610-5 du code pénal, «la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1ere classe», soit une amende de 38 euros. Les pouvoirs de police du maire n'ont pas vocation à servir une esthétique de l'ordre public mais la réalité d'un trouble. Nul ne souhaite voir la pauvreté mais personne ne peut s'y attaquer en la soustrayant au regard d'une collectivité qui en porte la responsabilité.