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Tribune

Croissance : la fin des illusions, le début des additions

Pour l'ancien ministre des Finances Michel Sapin, la baisse de la croissance constatée après un an d'exercice du pouvoir est imputable aux choix politiques d'Emmanuel Macron qui ont grevé le budget des ménages.
Emmanuel Macron lors d’une réception de chefs d’entreprise, organisée le 26 mars 2018 à l’Elysée à l’occasion de la huitième Semaine de l’industrie. (Photo Albert Facelly pour Libération)
par Michel Sapin, Ancien ministre de l'Économie et des Finances
publié le 24 août 2018 à 7h21

Un an d’exercice du pouvoir, un an pendant lequel de nombreuses décisions ont été prises, de nombreuses lois ont été adoptées, de grands discours ont été prononcés, une volonté a été affirmée. Il n’est pas indécent dès lors de faire un premier bilan et de mesurer les résultats de l’action entreprise. Où en est donc aujourd’hui la France du point de vue économique, financier, budgétaire et social ?

La comparaison entre les deux périodes, celle du quinquennat finissant et celle du quinquennat commençant est explicite: au premier semestre 2017, la croissance française affichait un rythme largement supérieur à 2% (+0,8% et +0,6% au 1er et 2e trimestre) Elle est aujourd'hui, en 2018, inférieure à 0,8% (+0,2% et +0,2% au 1er et 2e trimestre). Trois fois moindre ! Au premier semestre 2017, la création nette d'emplois dans le secteur privé, hors de tout emploi aidé, fut de 190 000. Au premier semestre 2018, le chiffre est de 70 000 soit plus de deux fois moins. Et chaque grand indicateur de l'activité économique française fait apparaître une baisse brutale: l'investissement des entreprises dépassait les 3% de croissance, aujourd'hui il est deux fois moindre. L'investissement des ménages en logement subit le même ralentissement brutal. Et la consommation des ménages, moteur de la croissance française qui fut de +0,4% en 2017 est aujourd'hui proche de 0.

Ainsi, objectivement, sans esprit de revanche et sans aveuglement partisan, les résultats d’un an d’une politique qui se veut nouvelle, courageuse et efficace, ne sont pas au rendez-vous, loin de là ! Pourquoi un tel échec à ce stade du quinquennat d’Emmanuel Macron, pourquoi une telle rupture entre les rythmes atteints début 2017 par l’économie française en termes de croissance et d’emploi et l’atonie constatée aujourd’hui?

Evidemment le contexte international et surtout européen rentre en ligne de compte. Le ralentissement est global en Europe et les inquiétudes géopolitiques créées par la politique irresponsable et brouillonne de Donald Trump sont réelles. Mais ce ralentissement est sans commune mesure, par exemple, avec la cassure brutale que subissait l’Europe à l‘été 2011 qui a assombri la dernière année de Nicolas Sarkozy et assommé  économiquement les premières années du quinquennat de François Hollande. Un ralentissement européen aujourd’hui, oui! De taille à expliquer le décrochage français, non ! Il y a donc bien une explication française aux résultats économiques profondément décevants de la France.

De la confiance à la suffisance

Et d’abord, l’échec de la politique de la parole, du discours et de l’exhortation ! C’est la fin des illusions. Un nouveau Président, un nouveau gouvernement, une nouvelle majorité devaient entraîner une nouvelle ère, un nouveau monde, un choc de confiance retrouvée. Ni la politique fiscale, outrageusement favorable aux fortunes financières, ni l’adoption des ordonnances réformant le code du travail, n’ont créé le moindre choc de confiance chez les entrepreneurs et les acteurs de l’économie française. Ceux-ci peuvent être sensibles et bienveillants, reconnaissants même  vis-à-vis du nouveau pouvoir, ils n’en prennent pas moins leurs décisions en fonction des réalités concrètes de l’économie réelle et celle-là ne va pas bien. La confiance s’est muée en suffisance, le culte de l’efficacité s’est dissous dans la réalité des difficultés.

Quelles ont été dans les faits les décisions favorables aux entreprises ? A l’image de ce qu’ont fait les gouvernements successifs de 2013 à 2017, quelle politique a été favorable à l’offre ? Je n’en vois pas, au contraire. L’aide à l’embauche dans les petites entreprises a été brutalement stoppée. Le taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a été diminué et quelques coûts supplémentaires ont été imposés aux entreprises. La baisse quant à elle de l’impôt sur le revenu avait déjà été votée dès la fin 2016 et intégrée par les entreprises. Que cesse donc ce discours qui confond fiscalité des entreprises qui s’est dégradée, et fiscalité des propriétaires d’entreprises qui fut, elle, de manière provocante, extrêmement favorable aux fortunes et revenus financiers! Dans un cas, c’est toute l’entreprise qui est aidée, patron comme salariés, dans l’autre, c’est le seul actionnaire le plus souvent héritier qui est récompensé…

Mais la cause profonde de l’échec actuel du pouvoir en matière économique tient à la question du pouvoir d’achat et de ses conséquences sur la consommation des ménages. Allégée de plus de cinq milliards, la fiscalité des plus grandes fortunes françaises n’a eu aucun effet ni sur la consommation ni sur l’investissement: la théorie du «ruissellement» est une fable pour milliardaires, la parabole du «premier de cordée» est une illusion pour premier communiant. Augmenter la CSG de la moitié des retraités français ou relever les taxes sur l’essence, voilà ce qui a un effet immédiat négatif sur la  consommation des ménages et l’activité des entreprises.

La reprise de l’inflation (+2,3% en 1 an), portée par la hausse du prix des carburants et non pas comme il serait souhaitable, par la hausse des revenus salariaux, va encore aggraver cette situation. La hausse des prix est désormais supérieure à la hausse du salaire mensuel et cela pour la première fois depuis 2011 ! L’évolution du pouvoir d’achat des ménages qui comprend leur revenu mais aussi les évolutions des prestations sociales ou de la fiscalité, illustre bien cette situation. En 2016, le pouvoir d’achat des Français a augmenté de 1,8%, en 2018, l’Insee prévoit à peine 1% en tenant compte de la baisse des cotisations sociales à venir et  de  la suppression partielle de la taxe d’habitation à la fin de l’année. C’est, en l’espace de dix-huit mois, deux fois moins !

Une marche forcée inopérante

En fait, le péché originel de la politique d’Emmanuel Macron, se trouve dans cette décision de faire adopter à marche forcée une fiscalité en faveur des très riches qui va vite couter en année pleine entre 7 et 10 milliards d’euros, et d’avoir financé cet allégement injuste et inefficace par un prélèvement sur l’ensemble des ménages français plombant ainsi consommation et croissance. Et comme l’enchaînement des conséquences est cruel -moins de croissance entraîne moins de recettes pour les finances publiques - le Président et le gouvernement se trouvent confrontés à une délicate question budgétaire. Comme il faut, à juste titre, continuer la diminution de notre déficit public, c’est du côté des dépenses que l’effort portera. Et puisque l’Etat s’est privé de 7 à 10 milliards d’euros d’impôts sur les plus riches, c’est la politique du logement et celle en faveur de l’emploi qui vont faire, les premiers, les frais du tour de vis budgétaire.  Diminuer les aides au logement, quand en même temps l’activité du bâtiment s’effondre ; diminuer les aides à l’emploi quand en même temps le chômage remonte, que de contradictions qui vont encore aggraver la situation, dans un de ces cercles vicieux dont le nouveau monde est aujourd’hui la victime, et la France avec.