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Blog «Géographies en mouvement»

L'Antarctique, ce continent bavard

Depuis les carottages menés par l'équipe de Claude Lorius, l'Antarctique parle de la planète. Mais aussi de bien d'autres lubies humaines qui donnent à ce continent un destin unique dans l'Histoire.
L'une des premières mentions de l'Antarctique sur une carte d'Oronce Fine, 1531
publié le 29 août 2018 à 15h18
(mis à jour le 29 août 2018 à 15h22)

L’Antarctique, quel intérêt ? A des milliers dekilomètres des terres habitées, ce continent est aussi froid qu’aride et venteux.Les mercenaires de l’exploration comme le fut Jean-Baptiste Charcot au début duXXe siècle le tenaient pour « le sanctuaire des sanctuaires où la nature se révèle en sa formidablepuissance ».

Deux océanographes, pas forcément spécialistes du monde glaciaire,puisque Guy Jacques est connu pour ses travaux sur le plancton et Paul Tréguiersur l’océan Austral, racontent comment l’Antarctique est devenu une utopie réaliséegrâce à une communauté scientifique unie qui a pu créer un terrain d’interdisciplinaritéexemplaire. Ils sont de mille (l’hiver) à sept mille (l’été) scientifiques devingt-neuf nationalités à profiter pleinement des traités internationaux signésen 1959 et 1991 qui en font le continent de la science.

Christian Grataloup dans L'inventiondes continents a tout raconté sur la naissance cartographique dès le XVIesiècle (voir la carte d'Oronce Fine, 1531), les erreurs (en 1773, James Cookcroit qu'il n'existe pas), la première circumnavigation entre 1819 et 1821 parBellingshausen, Bransfield et Palmer. Jacques et Tréguier évoquent les premiershivernages dès 1898, y compris celui de Charcot en 1904. Parlant depersonnalités un peu « fêlées », les auteurs citent des pionniers quine reculent devant rien lors de leurs Transantarctica, de la conquête du pôlejusqu'aux conquêtes des sommets (4897 mètres vaincus en 1957).

Des échancrures comme la mer de Weddell à celle de Ross sontexplorées au moment où fascinent les icebergs dans le premier tiers du XIXesiècle. Il faut attendre 1957 qui marque l'an I de l'épopée scientifique :huit pays (Argentine, Chili, Etats-Unis, France, Japon, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni,URSS) créent des bases d'où sortiront toutes sortes de conflits scientifiques,dont celui entre Claude Lorius (le premier à parler de réchauffement climatique)et Cousteau qui n'y comprend rien. Dans Glacesde l'Antarctique. Une mémoire, des passions (O. Jacob, 1991), Lorius raconterases exploits avec les Soviétiques dans la station Charcot où règnent des – 55°Cpendant le célèbre carottage qui allait donner de superbes informations sur lesanciens climats terrestres grâce à la mesure des concentrations de CO2.C'est ainsi que l'Antarctique devient le gardien de la planète.

La vie sous la glace (Niveau E4 et sédiment meuble). Oasis de vie sur un rocher d'un fond sédimentaire avec éponges, ascidies, concombres de mer, étoiles de mer, etc. Avec l'autorisation de Laurent Chavaud et Erwan Amice, Institut universitaire européen de la Mer, Brest. (Dans l'ouvrage, p. 217)

Jacques et Tréguier posent la question de l’océan Australcomme puits de gaz carbonique et dont l’avenir semble compromis. La diminutiondrastique du krill dont se nourrissent les baleines et les oiseaux, la vie des dix-huitespèces de manchots et des pingouins littéralement massacrés dans les années 1821,parfois cruellement déplumés. Le manchot empereur fascine d’autant plus que sadisparition est programmée pour 2100 si rien n’est fait. Le livre est passionnantsur « la glace, support de vie », il rompt avec l’idée selon laquelleles eaux froides seraient moins fournies que les eaux tropicales, puisque ladiversité benthique de l’Antarctique est équivalente à celle qu’on trouve en zoneséquatoriale. Il évoque les multiples types de vie sous la glace (photo ci-dessus).

C’est ainsi que la calotte glaciaire antarctique et l’océanAustral nous parlent du passé et du futur.