Voudrait-on un raccourci des liens entre un monastère et une prison ? On prend deux figures géographiques majeures de l'enfermement : à Fontevraud (Maine-et-Loire) et à Clairvaux (Aube) où les moines ont précédé les prisonniers. Comme dans les hôpitaux, les lycées, les usines, les bureaux d'aujourd'hui pour ceux qui n'ont pas choisi d'y être ? Cette idée d'enfermement va si peu de soi que dans l'Antiquité, on peut réduire en esclavage, on ne dresse pas physiquement des murs comme au XIIIe siècle avec les premières geôles et les culs-de-basse-fosse[1].
Tout a été écrit sur la gestation de cette idée de l'enfermement. La diversité des lieux, la modification des besoins et des peines a poussé à de telles évolutions qu'une partie de l'architecture pénitentiaire est en voie de patrimonialisation, ce qui est l'objet d'un numéro exceptionnel de la revue Monumental[2]. Cela allait si peu de soi que Libération publiait en 2014 un manifeste qui fit du bruit : « Les prisons font aussi partie de notre patrimoine ».
Comment « reconvertir » une prison sans susciter le rejet ? A Lyon, on a conservé les établissements centraux de Saint-Paul et Saint-Joseph et on les a ouverts sur la ville. A Paris, on n’a pas voulu supprimer la vocation pénitentiaire de la Santé, alors qu’à Fontainebleau et Guingamp, on est allé jusqu’à transformer les lieux en logements et qu’à Ajaccio ou en Guadeloupe, on s’attache surtout à reconnaître certains témoignages pénitentiaires
Lyon, ancienne prison Saint-Paul (d’Antonin Louvrier) devenue en 2015 un campus étudiant dans le quartier Confluences (maquette).
Le cas des îles guyanaises en face de Kourou ou du bagne de Saint-Laurent-du-Maroni comparés au bâti néo-calédonien mettent en avant des questions très complexes sur le respect des drames qui ont eu lieu en ces places. Une thématique qu’on retrouve dans les autres cas d’enfermement connus à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), à Cadillac (Gironde) dont le château devient en 1818 une prison pour femmes ? Ou encore plus étrangers à la France, la prison rouge de Saddam Hussein (Kurdistan, Irak) ou l’île d’Alcatraz (Californie) devenue… parc national.
La prison rouge de Sulaymaniyah (Kurdistan irakien) où fut pratiquée la torture sous le régime de Saddam Hussein qui y fut incarcéré à son tour.
Depuis 2010, les bagnes guyanais sont protégés au titre de monuments historiques. Certes, en milieu équatorial, ils se dégradent rapidement, mais quelle doctrine construire ? Quelle est la raison patrimoniale du bien ? Comment en partager l'utilité ? Quel sens retirer d'un remplacement des lépreux par des bagnards ou, aujourd'hui, des réfugiés surinamiens qui s'y installent à partir de 1986 ? Il faut rendre compte de la place des bagnards dans les villes (certains ont appris à lire aux enfants), des désignations qui vont jusqu'à confondre bagnard et esclave ? Que penser du sens que les Américains donnent à une visite des îles du Salut où Steve McQueen devient le point d'attraction pour avoir joué dans le film Papillon (1973) ?
Les camps de réfugiés, les relégations de migrants, toutes les formes de prisons visibles ou invisibles interrogent l'être humain au plus profond de lui-même. Nous revient en écho le célèbre « Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste » de Victor Hugo (Choses vues, 1851).
[ [1] ]
[2] Le patrimoine de l'enfermement, Editions du patrimoine, juin 2018.