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Libération
chronique «écritures»

Une rentrée bien genrée

publié le 31 août 2018 à 18h36

Comment sait-on que c'est la rentrée ? Il y a les premiers indices : les arbres qui commencent à jaunir, les conversations nostalgiques sur les vacances, sur l'Atlantique qui est mieux que la Méditerranée, ou l'inverse. Il y a aussi ces reportages sur les cartables, le prix des cartables, le poids des cartables, la liste interminable des choses à mettre dans les cartables, les compas, les ciseaux, les crayons HB numéro 2, les cahiers petit format grands carreaux ou petits carreaux grand format… Il y a ces mères affairées qui disent aux micros tendus que : «Ça en fait du boulot tous ces trucs à acheter pour mettre dans les cartables !» «Vous voulez dire que tout ça coûte cher ?» précise la personne qui tient le micro. «Ah oui, c'est sûr, c'est pas donné !» dit la mère concernée. Puis, apparaît l'enfant. Indispensable. Il faut toujours des enfants dans les sujets sur les listes de rentrée. Sinon ça fait moins vrai. Des enfants assez semblables d'une année sur l'autre, d'un reportage à l'autre. Avec ou sans lunettes, avec ou sans frères et sœurs, ils courent dans des rayons de supermarché en disant des phrases trop mignonnes comme : «Est-ce que je peux avoir la trousse Tchoupi ?» ou «Il est bien ce cartable-là ! Dis, on le prend maman ?» La maman rit en regardant son enfant si mignon. Puis, la caméra s'éloigne sur cet instant de bonheur familial. Le message étant : c'est vrai que c'est un peu chiant d'acheter des trousses mais, grâce à tout cet amour qui circule, ça devient un sacré beau moment de vie dont on se souviendra longtemps.

Dans les reportages, il n'y a jamais de papa, c'est un principe. Le papa est, sans être. On en parle, au détour d'une anecdote : «Avec mon mari on s'est dit …» ou «Papa a dit non, tu reposes ça tout de suite !» Dans les phrases des mères interviewées, le «mari travaille», c'est pour ça qu'il n'est pas là. En revanche, la maman, si. D'ailleurs, qu'elle travaille ou pas importe peu. Rien ne saurait justifier son absence. A-t-on jamais vu un sujet télévisé où il serait question d'un papa achetant des protège-cahiers transparents et des feuilles Canson millimétrées format A4 ? Un homme, une liste à la main, poussant un chariot dans les allées d'un rayon papeterie de grand magasin. De la science-fiction ! Non, Dieu merci, c'est la rentrée, la vraie, pleine de mamans débordées, mais souriantes, qui terminent leurs derniers achats avant d'aller inscrire le petit au judo et la grande à la danse. Et surtout pas l'inverse.

Comment sait-on que c’est la rentrée ? Autre indice imparable : quand Laurent Wauquiez, après une haute randonnée, fait des déclarations en bras de chemise sur les Français qui ne se sentent plus chez eux. Sur les flots de migrants, qui ôtent le pain de la bouche des honnêtes citoyens européens. Sur les chômeurs, qui ne font aucun effort pour travailler. Propos souvent suivis d’une série d’interventions enthousiastes de Nadine Morano, réjouie de dire, à qui veut l’entendre, qu’elle trouve ça super, toutes ces déclarations sur la vraie France et les faux chômeurs. Et, en général, un peu avant, ou tout de suite après ces histoires de vrais Français et de faux chômeurs, refleurissent des rumeurs sur l’éducation sexuelle à l’école.

Ce qui est intéressant avec cette histoire d’éducation à la sexualité, c’est que personne n’a un souvenir vraiment précis de ce qu’il a appris pendant ces cours. Ce qu’il nous reste plus tard, c’est la sensation d’avoir assisté à un moment gênant, plus proche de la mécanique que de l’érotisme. Mais, peu importe, plane toujours, dans les rumeurs autour de cette question, un parfum orgiaque et sulfureux. On nous annonce un genre de fin du monde où les hommes ne seront plus des hommes, et ne parlons pas des femmes ! L’avènement d’une société décadente et pornographique où les enfants, ces petits êtres purs et fragiles qui s’ébrouent dans les supermarchés, seront forcés à lire des livres terrifiants comme Tous à poils ou Jean a deux mamans. C’est pourquoi, cette année encore, le bruit court que des leçons de masturbation et autres pratiques hautement déviantes seront dispensées dans les maternelles. Ainsi, nos chers angelots vont être soumis dès 4 ans à des informations terribles qui les transformeront, à coup sûr, en pervers polymorphes et remettront en cause la fantastique répartition du monde. Ce monde où les papas travaillent et où les mamans font les courses.

Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Tania de Montaigne et Sylvain Prudhomme.