Questions à Ana
Lucia Araujo
, professeure d'Histoire à Howard University (États-Unis) et spécialiste
de l'histoire sociale et culturelle de l'esclavage atlantique.
Elle est l'auteure,
entre autres, de Reparations for Slavery and the Slave Trade: A Transnational and Comparative History.
Où et quand est apparue l’idée de réparations pour l’esclavage ?
L’idée de réparation pour l’esclavage
atlantique apparaît au fur et à mesure du développement même de l’esclavage. Les documents écrits qui datent de la période de l’esclavage montrent que les
esclaves et les affranchis employaient rarement le terme «réparation». Au lieu de cela, ils évoquaient l’idée de réparation
en utilisant des synonymes comme «indemnisation», «compensation»,
«expiation», «remboursement» et «restitution».
Au cours du XVIIIe siècle avec le développement du mouvement abolitionniste,
les premières demandes de réparations individuelles ont émergé aux États-Unis,
notamment pendant la période de la Révolution américaine. Les esclaves et des
affranchis ont commencé à conceptualiser l’idée de réparations dans des
correspondances, des brochures, des discours publics, dans des récits
d’esclaves et des réclamations judiciaires, rédigés en anglais, français,
espagnol et portugais. Ainsi, à différentes époques, et malgré la légalité de l’esclavage,
les esclaves et les affranchis montraient à quel point ils étaient conscients
d’avoir été victimes d’une injustice. Ils réalisaient qu’ils avaient
fourni du travail non rémunéré à leurs propriétaires et contribué à leur
richesse. Ils ont également riposté et exigé des réparations lorsqu’ils ont été
illégalement mis en captivité. Certains pionniers ont adressé les premières demandes de réparations aux gouvernements et aux
anciens maîtres en demandant non seulement d’être
libérés, mais qu’ils devaient aussi recevoir des restitutions matérielles et
financières. Mais c’est seulement au cours du XIXe siècle que les demandes de
réparations collectives ont été réalisées et encore une fois c’est les États-Unis qui ont été à l’avant-garde de ce mouvement.
Votre livre utilise une approche comparative et
transnationale. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela apporte à notre compréhension
de l’histoire des réparations ?
L'esclavage et
la traite atlantique des esclaves étaient basés sur des réseaux internationaux.
Les sociétés esclavagistes, malgré leurs particularités, étaient clairement
connectées à ces réseaux, soit pour importer des matières premières, soit pour
exporter ou importer des esclaves, autrement dit, ces sociétés étaient en
dialogue. On voit aussi qu'en dépit des différences les processus d'abolition
de l'esclavage dans les Amériques ont eu plusieurs éléments en commun dont par
exemple l'approche graduelle basée sur une législation qui soit dans
l'hémisphère nord ou dans l'hémisphère sud avaient des éléments en commun. Les abolitions avaient d'abord pour objectif de garantir que les anciens
propriétaires d'esclaves seraient compensés financièrement, à la différence des
anciens esclaves qui n'ont jamais reçu des réparations financières dans aucune
des anciennes sociétés esclavagistes des Amériques. Donc l'approche
transnationale et comparative aide à comprendre comment l'esclavage et la
traite se développent, comment les abolitions ont eu lieu et aussi aide à
saisir l'évolution des inégalités sociales et raciales dans la période
post-abolition.
Les demandes de réparations ne sont pas très souvent
entendues en Europe. Pourquoi pensez-vous que cela soit le cas ?
Ces demandes
existent mais elles ne sont pas très visibles car la plupart des personnes qui
revendiquent l’identité de descendants d’esclaves vivent dans les Amériques où
les conflits raciaux sont plus tendus. De plus, les demandes de réparations
pour l’esclavage et la traite atlantique en Europe se confondent avec les
demandes de réparations pour la période de la colonisation européenne,
notamment en Afrique. Ceci dit, depuis une dizaine d’années, les différents groupes
qui demandent des réparations financières, matérielles ou symboliques sont de
plus en plus en contact avec les trois continents ayant participé à la traite
atlantique. Il y a donc une croissance de ces demandes qui
parfois prennent d’autres formes, comme celles de
restitutions d’objets d’art africains pillés pendant les guerres coloniales et
la période de la colonisation.