Le 18 juillet, Marlène Schiappa déclara sur RMC que «le corps des femmes n'est pas un bien public, il leur appartient à elles seules». Cette étrange phrase avait pour but d'expliciter la philosophie de l'éducation sexuelle qui devrait être dispensée à ses yeux dans les écoles. Mais quelle est au juste cette philosophie ? Si le corps des femmes n'est pas un bien public, c'est qu'il est un bien privé, c'est-à-dire, «ce que quelqu'un possède, ce qui a une valeur financière et peut être objet de propriété» d'après le Larousse. La conséquence la plus importante de cette idée c'est que, à la différence des garçons, les femmes ne sont pas leur corps. Elles ont leur corps, elles sont les propriétaires de ce dernier. Entre les femmes et leurs corps il y aurait donc le même écart qu'entre un propriétaire et sa veste. Cette dernière est une chose différente de lui. Personne ne saurait les confondre. Les garçons, eux, ne feraient qu'un avec leur corps. Il serait impossible d'affirmer ceci est Untel et ceci est son corps. Si Mme Schiappa n'avait pas eu en tête cette distinction, elle aurait dit «le corps des humains n'est pas un bien public…»
Si l'on traduit cette ontologie inégalitaire dans le domaine de l'éducation à la sexualité, elle implique que pour une femme, consentir, c'est mettre à disposition d'autrui une propriété. Un peu comme louer ou prêter sa veste pour continuer avec cet exemple. Dire oui à une proposition sexuelle n'est donc pas pour une femme exercer avec un homme une liberté personnelle, la même liberté, mais rentrer avec lui dans une espèce de commerce. Et peu importe que celui-ci ne se traduise pas par la mise à disposition immédiate ou différée d'une somme d'argent au bénéfice de la femme. Or, un tel échange n'est pas égalitaire car il n'y a que les femmes qui possèdent un corps. Les garçons, je l'ai déjà dit, n'en ont pas. Ils essayent de faire en sorte que les filles mettent à leur disposition le leur. C'est grâce à cela qu'ils éprouvent des plaisirs érotiques. C'est sur ce point que la philosophie sexuelle de Mme Schiappa est la plus gênante. Car dans ce modèle de «la femme propriétaire de son corps» il n'y a pas la moindre place pour le plaisir érotique. En effet, la chose que nous possédons, en l'occurrence le corps, n'est pas faite pour ressentir du plaisir. Elle ne saurait que nous procurer des plaisirs indirects comme quand quelqu'un nous dit que notre veste est magnifique et nous propose de la racheter à un bon prix. Or, le plaisir sexuel est la raison pour laquelle les garçons cherchent à «louer» le corps des femmes.
On dira que je suis de mauvaise foi. L'objectif de Mme Schiappa n'est pas d'écrire un traité philosophique sur les rapports que les humains entretiennent avec leur corps. Tout ce qu'elle cherche est qu'on comprenne l'importance de faire entrer dans l'esprit des garçons que «ce n'est pas faire la fête que de mettre une main aux fesses à une femme», comme elle le précisa sur RMC.
Pourtant, il semble évident que si les hommes dans notre société se permettent de se comporter d’une manière si impolie, si brutale avec les femmes, c’est parce qu’ils pensent que ces dernières ne sont que les propriétaires de leur corps, des commerçantes de leurs faveurs sexuelles. Certains peuvent obtenir ces faveurs en échange d’une relation sentimentale, d’autres doivent les payer comptant. Et il y a ceux qui veulent les avoir par le vol ou par l’extorsion en faisant violence sur leur propriétaire légitime.
Si Mme Schiappa veut qu'on apprenne aux enfants que les hommes et les femmes sont également leur corps, le consentement à la sexualité cesserait d'être le début d'un commerce inégalitaire pour devenir un troc de corps contre corps, de bonheurs contre bonheurs. Et hormis quelques fous que l'on enfermerait, personne n'oserait jouir du corps d'autrui sans que ce dernier n'éprouve exactement les mêmes plaisirs
Cette chronique est assurée en alternance par Marcela Iacub et Paul B. Preciado.