Des vacances réussies, comme leur nom l’indique, sont celles où l’on est un peu vacant. Non qu’on ne puisse pas les occuper à maintes agréables activités, mais le délice des vacances, c’est d’être sans horaires, sans programme obligé, sans avenir plus lointain que le rosé du coin et la nuit étoilée. On décroche aussi de l’actualité, autant que possible, on ne compte plus les morts ni les degrés Celsius qui font fondre la banquise et nos cornets de glace, on éteint les incendies de forêts avec la télécommande, le cimetière de la Méditerranée redevient la Grande Bleue, bref, on zappe tout ce qui ne ressemble pas à un match de foot. C’est pourquoi la rentrée est toujours une rude épreuve.
D'abord, dès le 26 août, le pape suggère aux parents d'envoyer chez le psy leurs enfants témoignant de tendances homosexuelles. Comme on vient d'apprendre qu'il a protégé un pédophile notoire au sein de l'Eglise, on est assez mal disposé à entendre ses conseils pour l'épanouissement de notre jeunesse. Certes, le pontife a, depuis, largement corrigé ses propos. Il n'en reste pas moins que la doctrine catholique considère toujours l'homosexualité comme «non conforme au plan de Dieu». Ici je relis, je vérifie, ce sont bien les mots employés lors des différents synodes sur la famille : «Le plan de Dieu.» Je m'éberlue, puis m'esbaudis. On ne me dit jamais rien ! Dieu a donc un plan ? Un vrai plan ! Pas un de ces petits plans quinquennaux dont l'Histoire nous rebat les oreilles, pas non plus, cela va sans dire, le genre de projet fumeux que nous pouvons avoir, vous et moi - plan love, plan cul, plan épargne logement… Non : un plan pour la planète, par sur la comète, un plan pour l'univers, même, un plan urbi et orbi.
Puis, tandis que je me renseigne sur les grandes lignes du plan de Dieu, voilà que Nicolas Hulot annonce sa démission. Pas le genre à sacrifier longtemps ses convictions à un plan de carrière. Des plans, il en avait pourtant, lui aussi. En mars dernier, annonçant aux députés la mort du dernier rhinocéros blanc (Dieu devait être en vacances sur l'arche de Noé), il disait tristement : «Oui, je vais vous présenter un plan biodiversité dans les semaines qui viennent. Mais très sincèrement, tout le monde s'en fiche, à part quelques-uns.» Il n'avait pas tort puisque cinq mois plus tard, Jupiter le lui balance aux orties avec autant d'allant que le plan antipauvreté de Borloo. Dans les deux cas, pourtant, l'extinction du vivant est en cause : comment, quand on est un être humain, ne pas mourir de faim, de froid, de soif, rongé par les pesticides, étouffé par les particules fines, noyé dans l'indifférence générale ? Comment, quand on est un animal, échapper au carnage, à la boucherie, aux marées noires, aux sacs plastiques et au fusil des chasseurs ? L'enjeu, c'est la vie. On a dit que la question de la chasse était un fait mineur : pas de quoi démissionner. Mais préférer le camp des victimes à celui des prédateurs est un vrai choix politique, non ?
Là-dessus, je découvre l'affiche publicitaire que se sont offert les chasseurs – ils osent tout – avec pour slogan : «Les premiers écologistes de France» ! Ils tuent 30 millions d'animaux par an. Essayez juste de vous représenter 30 millions de corps, la plupart élevés à seule fin d'être abattus pour le plaisir.
Comme je n'y arrive pas, je me plonge dans le dernier livre de J. M. Coetzee, l'Abattoir de verre. Le prix Nobel de littérature 2003 est végétarien et plaide pour l'empathie avec l'«esprit animal» et la reconnaissance de «notre animalité commune». A la dernière page, il décrit la sélection des poussins dans une ferme-usine, le broyage mécanique des mâles à la naissance. «Je ne peux pas me défaire de cette image. Ces milliards de poussins nés dans ce monde magnifique, à qui nous accordons la grâce d'un jour de vie avant de les réduire en pâte parce qu'ils sont du mauvais sexe, parce qu'ils ne cadrent pas avec le business plan.» Ah ! C'est ça, me dis-je. J'avais oublié le «business plan», celui qui anéantit tous les autres, et nous avec, nous, les vivants, et ceux qui viendront après nous – s'ils viennent, s'ils peuvent encore venir.
Le plan de Dieu, si mes souvenirs sont bons, c'est «croissez et multipliez». Ça a l'air plan-plan comme ça, mais le programme est quelque peu contrarié. «Croissez ?». La croissance des vivants passe après celle des marchés financiers. «Multipliez ?». Vos bénéfices.
Si vraiment Dieu existe, j’espère qu’il a un plan B. Le temps presse.
Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Tania de Montaigne et Sylvain Prudhomme.