Voilà un des livres les plus utiles de la rentrée. Dans un langage simple, mais sur la base de lectures manifestement approfondies, deux jeunes journalistes font le tour des «idées nouvelles» qui agitent ce siècle commençant. Ils donnent ainsi à ceux qui veulent mieux comprendre les enjeux des luttes sociales, les débats en cours sur l’écologie, la technologie, la monnaie, le féminisme ou la démocratie, l’occasion d’un précieux rattrapage sur les pensées d’aujourd’hui. Ils réfutent au passage les clichés paresseux qui permettent à une certaine doxa de rejeter en bloc ce que ces «idées nouvelles» peuvent avoir de constructif, de positif, de réaliste.
Non, le revenu universel n’est pas une aimable utopie socialiste qui propose de transformer les travailleurs en rentiers oisifs qui touchent leur allocation les doigts de pieds en éventail. Il en existe au moins trois versions, libérale, progressiste ou radicale. Dans les trois cas, il s’agit de garantir à tout membre de la société un minimum décent qui lui permettra de vivre. Mais selon son montant, ses modalités d’application, il débouche sur des projets de société différents et construits. Quant à son financement, talon d’Achille de la mesure, il donne lieu à d’âpres discussions qui ne sont pas toutes le fait de farfelus.
Non, l’antispécisme, qui tend à conférer aux animaux certains droits fondamentaux, n’est pas le fait de défenseurs hallucinés des ours polaires et des loups des montagnes. Il est fondé sur des travaux philosophiques profonds, sur une longue expérience militante, sur les avancées les plus pointues de la science du comportement animal et interroge les fondements mêmes de notre civilisation.
Non, les «décroissants» ne veulent pas inverser le chiffre des taux de croissance actuels, entraînant chômage et austérité dans la population. Ils proposent un changement général des modes de vie et de production, qui conduira à une économie non productiviste et à une consommation d’énergie moindre.
Non, les avocats du «bitcoin» ne sont pas des spéculateurs obsédés qui ont trouvé un nouveau moyen de satisfaire leur coupable passion. Les fondements de la nouvelle monnaie tiennent à une réflexion sur le rôle des banques et du système financier, sur la protection de la vie personnelle et sur la stabilité du système financier.
Non, les «transhumanistes» ne sont pas tous des apprentis sorciers californiens qui planifient des sinistres projets de transformation des êtres humains en cyborgs tout-puissants et immortels. Ils réfléchissent aussi sur les progrès fulgurants de la technologie et des sciences du vivant, qui bouleverseront de toute manière notre rapport à la maladie, à la vieillesse et à la mort.
Bref, les «nouvelles idées», qui paraissent utopiques, irréalistes, dangereuses, conduisent à une réflexion profonde sur le devenir du monde tel qu’il va et sur les solutions qui peuvent en améliorer la marche. Leur point commun ? Il est plutôt rassurant : rechercher, à partir des percées de la technologie, des expériences associatives et démocratiques, des luttes sociales ou sociétales, les moyens de mieux réaliser les idéaux d’égalité et de liberté. A travers le nouveau féminisme, les formes de participation citoyennes, les anticipations du transhumanisme progressiste, l’antispécisme, les principes des «communs», les monnaies locales, une traduction contemporaine des anciennes valeurs progressistes, sur la base d’une redéfinition radicale de la notion même de progrès.
A chaque fois, on peut reprocher à leurs promoteurs un certain flou sur les voies et moyens de leur mise en œuvre : c’est souvent le propre des précurseurs, on ne peut exiger d’eux un programme tout ficelé, alors même que leur pensée est encore évolutive. Mais tout citoyen désireux de retrouver un sens au progrès, tout responsable qui souhaite avancer des projets neufs capables de nourrir une action politique doit lire ce livre pour rester, un tant soit peu, en prise avec son époque.